Des étudiants brandissent une pancarte dénonçant la mort du militant Kamel Eddine Fekhar, à Alger, le 28 mai 2019. / RYAD KRAMDI / AFP

Le docteur Kamel Eddine Fekhar, militant algérien des droits humains, est mort mardi 28 mai à l’hôpital de Blida (nord), a annoncé son avocat, Me Salah Dabouz. Depuis au moins trois semaines, ce dernier, prévenu par l’épouse de M. Fekhar, alertait sur le fait que le militant mozabite était en danger de mort et victime d’un acharnement judiciaire.

Médecin de profession, Kamel Eddine Fekhar avait été arrêté le 31 mars avec un autre militant, Hadj Brahim Aouf, à la suite d’un entretien vidéo dans lequel il dénonçait des pratiques « ségrégationnistes » à l’encontre des Mozabites (des Berbères de rite ibadite, minoritaire en Algérie) dans la wilaya (préfecture) de Ghardaïa, à 600 km au sud d’Alger.

Tous deux avaient été placés en détention provisoire et poursuivis pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » et « incitation à la haine raciale ». Des associations de défense des droits humains s’en sont indignées et ont réclamé leur libération, assurant qu’il s’agissait de détenus d’opinion.

Pour dénoncer cette mise en détention, M. Fekhar, 55 ans, est entré rapidement en grève de la faim. Sa santé, déjà fragilisée par de longues grèves de la faim durant une précédente période de détention, entre 2015 et 2017, s’est brutalement dégradée au cours des dernières semaines. Son avocat a dénoncé des conditions de détention lamentables et un refus délibéré de lui apporter les soins adéquats. Le prisonnier a été transféré à l’hôpital de Ghardaïa puis à celui de Blida.

Sa mort rappelle celle du journaliste et cybermilitant Mohamed Tamalt, condamné à deux ans de prison ferme pour « offense aux institutions et au président », décédé en prison le 11 décembre 2016 à l’âge de 42 ans après trois mois de grève de la faim.

Une mort « programmée »

Dans une vidéo diffusée sur son compte Facebook, Me Salah Dabouz, très ému, a dénoncé un « crime » et une « mort programmée » décidés par les « autorités judiciaires de Ghardaïa » sur la base d’un « dossier vide ». Le juge d’instruction chargé de l’affaire a cédé aux pressions du procureur, a-t-il assuré. Il a également accusé le wali (préfet) de Ghardaïa de stigmatiser les militants des droits humains et d’avoir condamné MM. Fekhar et Aouf « avant que la justice n’examine leur dossier ».

« J’accuse toutes les autorités judiciaires et administratives qui ont traité ce dossier. J’appelle les autorités centrales et onusiennes à examiner le dossier. Il n’y a que le dossier qui peut nous dire si Fekhar a commis des actes graves. Il n’a rien fait, il n’a fait qu’une interview », a déclaré l’avocat.

Ancien membre du conseil national du Front des forces socialistes (FFS), M. Fekhar avait été arrêté en juillet 2015 dans un contexte d’affrontements communautaires entre Mozabites et Chaambi (Arabes sunnites) qui avaient fait 22 morts et des centaines de blessés dans la région de Ghardaïa.

Un groupe de travail du Conseil des droits de l’homme des Nations unies avait souligné dans un rapport daté d’avril 2017 que « les accusations portées par le gouvernement à l’encontre de M. Fekhar [manquaient] de substance », ce qui mettait en doute « l’équité de la procédure pénale ». Le rapport estimait que M. Fekhar était « un ardent défenseur des droits humains » et que c’était « la véritable cause du harcèlement judiciaire dont il [faisait] l’objet ».

Sa mort fait craindre à certains un regain de tension à Ghardaïa, où les troubles intercommunautaires ne se sont apaisés qu’en 2017 à la suite du déploiement de l’armée.

« Pouvoir assassin »

L’annonce du décès de M. Fekhar a suscité une vague d’indignation et de dénonciation. L’ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Saïd Sadi, a estimé que le militant a « préféré la mort digne à la vie de soumission à laquelle on voulait l’assigner entre deux arrestations ». Sa mort, a-t-il ajouté, « n’est ni un accident ni un hasard : il faudra se rappeler qu’elle est la conséquence d’une gestion inique et archaïque qui a déjà fait trop de victimes innocentes et qui ne manquera pas d’en faire encore si elle venait à se perpétuer ».

Le politologue Lahouari Addi a réagi encore plus vivement, sur Facebook, en assurant que M. Fekhar a été « assassiné par le régime des généraux, alors que le général Gaïd Salah parle du respect de la Constitution… Si la Constitution était respectée, Kamel Eddine Fekhar serait en vie ».

A Béjaïa, capitale de la petite Kabylie où quelques milliers d’étudiants, de personnels de l’université et de militants démocrates défilaient mardi lors de la traditionnelle journée de mobilisation estudiantine, les manifestants se sont arrêtés face au siège de la wilaya pour rendre hommage au militant de Ghardaïa. « Docteur Fekhar, martyr, tu resteras toujours dans nos cœurs », scandait le carré de tête.

« Sa grève de la faim est passée un peu inaperçue avec le mouvement et a été très peu été médiatisée », déplore Lyes Touati, venu d’Aokas, à une vingtaine de kilomètres de Béjaïa. Dans la foule, les accusations de « pouvoir assassin », nées lors de la révolte qui a ensanglanté la Kabylie en 2001 (128 morts), ont rapidement succédé aux traditionnels slogans scandés contre le régime en début de mobilisation.