Iron Biby, champion du monde de « log lift », chez lui, à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso. / Sophie Garcia / Sophie Garcia | hanslucas.com

Un mètre 90, 183 kilos, 66 centimètres de tour de bras… Iron Biby est un géant. Dans la cour de sa maison de Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, s’entassent pierres d’Atlas, troncs d’arbres et pneus de tracteurs, à côté d’une dizaine d’haltères et de bancs de musculation.

« Vous voyez ça ? C’est un eucalyptus que j’ai transformé en “log press”, explique-t-il en montrant une bûche de 200 kilos. Il faut plus de dix personnes normalement pour le soulever. » Mais pour Iron Biby l’haltérophile, deux biceps suffisent. Il est l’un des hommes les plus forts du monde. « Je peux y ajouter des poids de cinq à dix kilos, il n’y a pas de limite tant que ça passe ! », crâne-t-il, son visage juvénile s’illuminant d’un large sourire.

A 27 ans, le Burkinabé a réussi un exploit le 6 avril à Leeds, en Angleterre : il a été sacré champion du monde de log lift en soulevant une charge de 220 kilos au-dessus de ses épaules. Depuis, Iron Biby, premier Africain à avoir remporté ce titre, fait figure de fierté nationale au Burkina.

Premier Burkinabé dans le Guinness Book

Longtemps, pourtant, Cheick Ahmed Al-Hassan Sanou – son vrai nom – a souffert de ne pas être un petit garçon « normal ». Complexé par sa corpulence, il subit les moqueries de ses camarades de classe. « Trop gros », « trop lent », lui répète-t-on. « J’ai toujours fait beaucoup de sport et j’ai essayé de nombreux régimes, mais rien ne marchait », raconte ce passionné de basket-ball et de football américain. Il rêve d’être un grand athlète et d’intégrer la NBA, mais son poids l’entrave.

Ce timide fils de directeur d’école « encaisse » jusqu’à ce jour où, à 9 ans, il ne peut s’empêcher de repousser un mauvais plaisantin, de cinq ans son aîné. « C’est la seule fois. Je n’ai jamais été violent, mon père m’a toujours appris à respecter mon prochain », regrette-t-il encore. Mais ce banal accident de cour d’école provoque chez lui un déclic. Ce corps qu’il a tant de mal à aimer va devenir sa « force », réalise-t-il.

A 17 ans, Cheick Ahmed Al-Hassan Sanou part étudier au Canada, où il obtiendra un master en administration des affaires. « J’ai commencé à m’entraîner à la salle de gym entre les cours, mais au lieu de maigrir je devenais chaque jour plus fort », se rappelle celui qui travaillait comme vigile de casino, la nuit, pour payer son logement.

En 2013, on lui parle du « powerlifting » (force athlétique, en français), un sport qui consiste à soulever et déplacer des charges très lourdes. Il n’en a jamais entendu parler mais il se lance et, très vite, le Burkinabé gagne ses premières compétitions. L’année suivante, il se qualifie déjà au niveau mondial. « Tout le monde était impressionné, je voulais être le meilleur », confie l’autodidacte. Repousser ses limites devient une passion, tirer des camions et soulever des roches, un « hobby ».

Iron Biby sera le premier Burkinabé à figurer dans le Guinness Book des records, en 2018 d’abord puis en 2019, en soulevant 82 fois une personne de 60 kilos en une minute. « Une fierté pour mon pays », glisse-t-il, modeste.

Tirer un avion de la compagnie nationale

Dans la maison de la famille Sanou, les trophées et les médailles encombrent désormais les étagères et les murs du salon. Assis sur le canapé, le père les regarde avec une pointe d’émotion. « Biby n’était pas un bébé comme les autres. Nous l’avons toujours encouragé à croire en ses rêves, mais on ne s’attendait pas à ce qu’il aille si loin. Je suis fier », commente Lancina Sanou, encore surpris par la célébrité fulgurante de son fils.

Du tarmac de l’aéroport de Ouagadougou, où il a été accueilli en héros par une foule de fans à son retour d’Angleterre, jusque dans les rues de Bobo-Dioulasso, difficile désormais de passer incognito. « Iron Biby, un selfie ! », l’acclament des passants en le voyant circuler au volant de sa voiture de sport bleue. « Dès que je mets un pied dehors, on me reconnaît, explique-t-il, gêné. Alors je préfère rester travailler à la maison et mener ma petite vie tranquille. »

Quand il ne s’entraîne pas, il aide à gérer l’administration des trois écoles du « papa » à la retraite, lui « donne un coup de main » sur ses chantiers ou construit de nouveaux appareils de musculation. « Il y a toujours quelque chose à faire. Je viens d’une famille aisée, mais on m’a appris à travailler très dur. Je ne crois pas au divertissement, chaque jour j’essaie d’être meilleur que la veille », prêche-t-il.

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Iron Biby, qui laisse toujours sa porte « ouverte aux enfants du quartier », espère devenir un modèle pour la jeunesse de son pays. « Ils passent souvent me demander des conseils ou essayer les machines. Je les encourage à être fiers de leur corps et de leurs différences », explique-t-il. Son prochain projet : ouvrir un centre sportif à Bobo-Dioulasso. « Il y a plein de talents ici, mais ils sont délaissés et s’éteignent. Je veux les réveiller. A leur tour de me dépasser ! »

En attendant, Iron Biby continue de s’entraîner dur, trois à quatre heures par jour, sous un soleil de plomb. Son secret, un régime de champion : au moins cinq repas par jour et jusqu’à huit « poulets bicyclettes » en phase de préparation. Il a promis à son public de battre son propre record cette année en soulevant 230 kilos au log lift – une charge encore jamais soulevée. Et « l’homme de fer », comme certains le surnomment, ne compte pas s’arrêter là. Son rêve : tirer un avion de la compagnie nationale Air Burkina. Pour l’exploit, bien sûr, mais surtout « pour faire plaisir aux Burkinabés et mettre un peu d’extraordinaire dans leur quotidien », ajoute en riant celui qui se verrait bien jouer dans des films d’action.