Yannick Jadot relit son discours lors de la soirée électorale d’EELV, au Hang’art dans le 19e arrondissement de Paris, le 26 mai. / LUCAS BARIOULET POUR « LE MONDE »

Que ce fut long ! Les militants écologistes n’en reviennent toujours pas : depuis les résultats des élections européennes du 26 mai, ils sont de nouveau au premier plan. Et ce n’était pas joué d’avance. Il y a un peu plus de deux ans, Yannick Jadot jetait l’éponge lors de l’élection présidentielle pour se rallier à Benoît Hamon. Résultat : 6,36 % des voix. Peu de gens, alors, pariaient sur le devenir du député européen. Europe Ecologie-Les Verts (EELV) était exsangue aussi bien financièrement que sur le plan militant. Sa survie était en question tant les autres partis s’emparaient de la lutte pour l’environnement et contre le réchauffement climatique, privant EELV de sa spécificité. Aujourd’hui, tout est différent.

Depuis dimanche soir et leur score de 13,5 %, une troisième place et plus de trois millions de voix (un record pour le parti écolo), les écologistes savourent. Ils distancent largement La France insoumise, le Parti socialiste et Benoît Hamon (respectivement 6,3 % ; 6,2 % et 3,3 % des voix). Et mesurent le chemin parcouru.

« Cela a été un long combat, avec plein de chausse-trappes », confirme Alexis Braud, bras droit de M. Jadot avec le soulagement de ceux qui reviennent de loin. « Tout commence après la présidentielle, en septembre. Le fait que Yannick [Jadot] soit tête de liste, n’allait pas de soi pour tout le monde, rappelle M. Braud. Ça s’est fait en plusieurs étapes. Il a voulu mener la bataille d’une écologie qui s’affirme et il a fallu sortir du marigot de la présidentielle. Pour cela, on a imposé notre stratégie. »

« Ce n’est pas une histoire solitaire »

A l’époque, début 2018, le petit milieu écologiste s’agite. Benoît Hamon a lancé son mouvement quelques semaines plus tôt et vient de recevoir l’appui d’anciens écolos comme Claire Monod, Yves Contassot et même Cécile Duflot qui est venue à la réunion fondatrice de Génération.s. Chez les Verts, la direction regarde avec intérêt ces mouvements. Et prône des listes communes sous le label EELV. « Mais quand Benoît Hamon a commencé à discuter avec Yannis Varoufakis [ancien ministre grec des finances], on a vu qu’il voulait prendre le leadership », se remémore David Cormand, secrétaire national.

De son côté, Yannick Jadot porte sa ligne à chaque Conseil fédéral (parlement du parti), et remporte des victoires pour imposer une liste « 100 % écologiste ». « Ce n’est pas une histoire solitaire. On a fait de la pédagogie pour aboutir à une nomination tôt », tient à préciser M. Braud. Une fois sa nomination validée, reste pour Yannick Jadot, à mettre un parti connu pour son indiscipline en ordre. « Yannick avait raison, son discours correspondait à un chemin cohérent, écologiste. Il y a de la constance chez lui », continue Alexis Braud.

Mais la vraie bascule est la démission de Nicolas Hulot du gouvernement, à la fin de l’été 2018. Pour les écologistes, c’est une nouvelle fois la preuve qu’il n’est pas possible de mener une politique écologiste dans un gouvernement qui ne l’est pas. Cela leur ouvre aussi un champ des possibles inespéré en pouvant incarner de nouveau « le vrai combat écologiste ».

« Un vrai changement de paradigme »

C’est aussi le moment du retour de Stéphane Pocrain. Il jouera un rôle de discret conseiller pendant toute la campagne, utilisant ses nombreux réseaux à l’intérieur et à l’extérieur du parti. « J’arrive au moment des journées d’été, en août 2018, avec la conviction qu’il y a un coup à jouer pour la campagne des européennes, raconte celui qui fut proche de Noël Mamère, d’Eva Joly et de Cécile Duflot. Je ne suis pas adhérent à EELV. Ce que je veux, c’est comprendre la tectonique des plaques dans la société. » Même lorsqu’il était en dehors du parti, il est resté en lien avec certains membres de la direction comme David Cormand, Julien Bayou ou Marie Toussaint, l’initiatrice de « l’Affaire du siècle » (quatre associations écologistes ont attaqué le gouvernement français pour inaction climatique, soutenues par une pétition qui a réuni plus de 2 millions de signatures).

M. Pocrain livre une note stratégique en octobre : « Je leur dis qu’il faut axer la campagne sur un vrai changement de paradigme et tout articuler autour de la sauvegarde du climat. Cela implique une distinction politique forte avec les autres. » Une sorte de rupture ? « Non, ça va plus loin, on parle d’un basculement, de revenir aux sources de la spécificité de l’écologie politique dans son rapport au vivant, au productivisme. » Il plaide également pour mettre en avant la « génération climat », ces jeunes qui manifestent pour rappeler l’urgence à lutter contre le réchauffement.

Le reste relève de l’alchimie entre personnes finalement assez différentes qui se retrouvent autour d’une vision politique commune. A savoir l’analyse de la fin de la social-démocratie, et la conviction que l’écologie politique est un nouveau paradigme. Pour cela, il faut que les écologistes arrivent à s’extraire de la latéralisation droite-gauche en portant une radicalité verte. David Cormand parle de « synthèse dynamique » pour définir cette ambiance de travail : « On discutait, on débattait tout le temps », souligne-t-il. Stéphane Pocrain abonde : « Il fallait que chacun fasse mouvement vers l’autre. »

« Etre le parti du quotidien »

Autre élément essentiel pour comprendre la campagne de Yannick Jadot : le rôle qu’a joué Isabelle Saporta, sa compagne. Cette journaliste est notamment l’auteure du Livre noir de l’agriculture : comment on assassine nos paysans, notre santé et l’environnement (Fayard, 2011). Elle connaît bien les questions environnementales. Elle rencontre M. Jadot à l’été 2017, lors d’un débat sur BFM-TV à propos des néonicotinoïdes. « J’ai toujours été écolo. Je pense que l’écologie, c’est du terrain », explique Mme Saporta. C’est elle, par exemple, qui va présenter M. Jadot à Benoît Biteau, agriculteur bio. Elle se tient à distance des affaires du parti mais plaide pour une ligne articulée autour de « l’écologie concrète ».

Yannick Jadot et sa compagne, Isabelle Saporta, dans le 19e arrondissement de Paris, le 26 mai. / LUCAS BARIOULET POUR « LE MONDE »

« L’écologie c’est la matrice par laquelle on doit tout repenser, y compris l’économie. On doit trouver des solutions, être le parti du quotidien, insiste Isabelle Saporta. J’ai poussé Yannick à faire du terrain, à rencontrer des pêcheurs, des viticulteurs, des patrons de PME, des artisans qui étaient fâchés avec EELV alors qu’ils sont tous vraiment écolos. On doit avancer ensemble, avec les bonnes idées. » Ce qui fait écho aux propos de M. Jadot lorsqu’il affirma au Point début mars : « Bien entendu que les écologistes sont pour le commerce, la libre entreprise et l’innovation. »

Une chose est sûre : pour les écologistes, le score de dimanche soir n’est une surprise que pour ceux qui ne connaissent pas l’écologie. M. Pocrain le résume : « On mène une bataille culturelle de long terme dans le pays. » Qui aurait, enfin, porté ses fruits.