Le candidat à la présidentielle Vladimir Poutine (à gauche) et le réalisateur Vitaly Mansky. / Juri Feklistow

ARTE - MERCREDI 29 MAI - 0 H 45. DOCUMENTAIRE

Avant de devenir un documentariste et un cinéaste couronné de succès et de récompenses, Vitaly Mansky fit comme tout le monde dans les débuts de sa carrière : des emplois « alimentaires ». Parmi ceux-ci, une mission bien particulière, remplie à l’aube du nouveau millénaire pour le compte de la télévision d’Etat : filmer la passation de pouvoir entre Boris Eltsine et Vladimir Poutine et composer un portrait autorisé du nouvel homme russe.

Après la démission inattendue du très affaibli Boris Eltsine, fin 1999, le jeune président par intérim, Vladimir Poutine, a trois mois pour s’assurer une élection à la présidentielle du 26 mars 2000. Derrière cette transition savamment orchestrée par le camp présidentiel, deux objectifs : assurer la sécurité du président sortant et de son clan ; éviter le retour des communistes. Dès lors, il s’agit pour le réalisateur de produire un film de campagne au service du candidat, qui vise à faire de l’ancien chef des services de sécurité « un type sympa », proche du peuple et immédiatement prêt à gouverner.

Des années et quatre mandats de M. Poutine plus tard, Vitaly Mansky a repris ces vieilles images. Il les a remontées, assorties de commentaires et d’images inédites, y compris issues de ses archives personnelles, pour composer un film loin de la mission de propagande originelle. Comme un « témoin » – nom originel du film en russe – qui serait passé à côté de l’essentiel, il réinterprète ces séquences très cadrées.

Le film s’ouvre ainsi sur le départ d’Eltsine de la présidence, que Mansky raconte en braquant sa caméra sur… sa propre femme. « Je vois surgir l’homme à la main de fer, une souris grise qui ne fait pas de bruit. (…) Elle n’aura pas duré longtemps, l’utopie », souffle-t-elle à la caméra ce soir du 31 décembre 1999, à l’heure où le jeune Vladimir Vladimirovitch Poutine, tout récent premier ministre, accède à la présidence par intérim.

Propulsé dans l’intimité du président en campagne, Mansky filme l’impétrant, souvent emprunté et peu sûr de lui, qui refuse – déjà – tout débat avec ses concurrents. La thèse du documentariste : tout était en germes dès cette première année. La mise en avant de l’armée, le contrôle des médias, les terroristes « butés jusque dans les chiottes », l’arrivée dans l’entourage du chef de ceux qui deviendront les nouveaux oligarques, la réhabilitation progressive de l’héritage soviétique… Pour autant, le jugement est tout en nuances, quand bien même Mansky a choisi depuis 2014 l’exil hors de Russie.

Pour les exégètes du poutinisme

Toujours présent en arrière-plan, Boris Eltsine exulte le soir de la victoire de Vladimir Poutine dès le premier tour. Mais à peine quelques mois plus tard, il commente d’une voix sourde le choix de Poutine de rendre à l’hymne nationaliste la mélodie qui était la sienne à l’époque soviétique : « Ça sent le rouge… »

L’idée de départ est séduisante, et les images offertes par le réalisateur sont précieuses, mais ce film de 1 h 34, qui a obtenu le Grand Prix Documentaire international du festival Fipadoc 2019, souffre de quelques longueurs. Il ne séduira entièrement que les exégètes du poutinisme ou les nostalgiques de la décennie folle des années 1990 russes, celle de tous les possibles et de toutes les désillusions. « La seule chose qui compte, c’est que les gens nous croient », confie le jeune Poutine. Prophétique.

« Poutine, l’irrésistible ascension », documentaire de Vitaly Mansky (Suisse, 2018, 100 min). En replay jusqu’au 27 juin sur Arte.tv.