Longtemps, les populistes et l’extrême droite ont voulu en finir avec l’Union européenne. Cela n’a plus été le cas lors de la campagne pour les dernières élections européennes de mai 2019. Les déboires britanniques depuis le référendum sur le « Brexit » de 2016 y sont évidemment pour quelque chose. Même les partis eurosceptiques ou europhobes ne se risquent plus à proposer un référendum sur la sortie de l’UE ou de l’euro.

Mais si l’Europe n’est plus dans le viseur des forces souverainistes radicales, c’est aussi et surtout parce que leur cible principale est désormais la démocratie. La démocratie libérale représentative est la « marque de fabrique » de l’Europe, sa valeur ajoutée, dans un monde de plus en plus gagné par l’autoritarisme. Face à la Chine, la Russie, la Turquie, le Brésil et même les Etats-Unis de Donald Trump, le pouvoir d’attraction du modèle européen réside dans sa tradition démocratique.

Remise en cause de la liberté d’expression

Mais la démocratie en Europe ne se porte pas bien. Elle est contestée, menacée ou encore abîmée. Les instances européennes ont trop souvent ignoré la volonté des peuples, comme lors du référendum de 2005 en France ou de celui tenu par la Grèce en 2015. Il faut aussi compter avec les forces politiques qui souhaitent redéfinir la démocratie dans un sens moins libéral. C’est le cas du Hongrois Viktor Orban, devenu à la faveur de la crise migratoire de 2015 le champion des extrêmes droites européennes. Il a mis en place un régime ultra-conservateur où la démocratie ne subsiste que de manière formelle avec des médias domestiqués, un Parlement sans influence et une justice aux ordres. Les opposants sont intimidés et les valeurs traditionnelles ou religieuses instrumentalisées. Orban a été imité en Pologne. L’Italien Salvini est séduit par ses postures d’homme fort.

Partout en Europe, même en Allemagne qui ne comptait pas d’extrême droite, la crise migratoire de 2015, suivie des attentats djihadistes, a libéré des forces extrémistes au credo anti-immigrés et islamophobe, dont la propagation, largement aidée par la Russie de Poutine, pousse les démocraties à remettre en cause la liberté d’expression et à exercer un contrôle sur Internet. Mais les réseaux sociaux ne sont que le support de cette diffusion de la parole raciste : elle n’aurait pas été possible sans l’impulsion et l’exemple donnés par les élites politiques, qu’il s’agisse du Royaume-Uni, de l’Italie ou de la France.

Discrédit des élites

Si Internet est une source considérable de déstabilisation des démocraties représentatives traditionnelles, comme le prouve l’ascension éclair des Cinq Etoiles en Italie, c’est avant tout le discrédit des élites traditionnelles qui frappe l’observateur. Incapables de prévenir la crise financière de 2009, elles n’ont pas su remédier au fossé qui se creuse de plus en plus entre des urbains surtout préoccupés par les menaces environnementales et des marges rurales se sentant abandonnées, loin de la mondialisation et de ses retombées.

D’Athènes à la banlieue de Manchester, notre journaliste Christophe Ayad a parcouru six pays, France comprise, pour enquêter sur la crise de la démocratie européenne. Si vous avez manqué la série ou l’un des épisodes publiés dans Le Monde, nous vous proposons de vous y replonger ici :

Episode 1. La Grèce, berceau de la crise démocratique en Europe Huit jours après la victoire du non au référendum qu’il avait organisé sur le plan de la troïka, le premier ministre Alexis Tsipras est contraint de signer le troisième mémorandum d’aide à la Grèce. Après avoir laminé le social-démocrate Papandréou en 2012, l’Europe a humilié la gauche radicale.

Episode 2. La Hongrie érige un Etat forteresse

Premier ministre depuis 2010, le Hongrois Viktor Orban a muselé les contre-pouvoirs et érigé un modèle politique alternatif qu’il rêve d’exporter ailleurs en Europe.

Episode 3. En Italie, l’invention d’un populisme 2.0

Fondateur avec le comique Beppe Grillo du Mouvement Cinq étoiles, l’informaticien Gianroberto Casaleggio a été le premier à introduire Internet en politique. Enquête sur cet homme méconnu qui mélange Machiavel et Zuckerberg.

Episode 4. Jours de haine au Royaume-Uni

La campagne pour le Brexit, marquée par l’assassinat de la députée travailliste Jo Cox en pleine rue, a ouvert la porte à une xénophobie décomplexée en posant la question du contrôle des frontières.

Episode 5. Les tabous de l’Allemagne mis à l’épreuve

La nuit du 31 décembre 2015 à Cologne, marquée par des centaines d’agressions sexuelles commises par des hommes du Maghreb et du Moyen-Orient, a fait basculer le pays dans un débat sur l’islam dont l’extrême droite a profité pour entrer en force au Parlement.

Episode 6. En France, une rage antisystème

En 2005, les Français ont voté non au projet de Constitution européenne. Trois ans plus tard, le Parlement adoptait malgré tout le traité de Lisbonne. Le discrédit des élus et le rejet de la démocratie représentative se retrouvent aujourd’hui dans la crise des « gilets jaunes ».