Messe dans la cathédrale de Kaya, au Burkina Faso, le 16 mai 2019. / Anne Mimault / REUTERS

« No more shooting, no more shooting ! » Mardi 14 mai, le gospel d’ouverture de la troisième assemblée de la Conférence épiscopale d’Afrique de l’Ouest s’est fait plus sombre, plus tragique. Réunis à Ouagadougou, au Burkina Faso, une centaine de cardinaux, d’archevêques et d’évêques écoutent, la mine grave. L’inquiétude se lit sur les visages.

Deux jours plus tôt, six fidèles, dont un prêtre, ont été abattus en pleine messe dominicale par des individus armés dans l’église de la commune de Dablo (région du Centre-Nord). Le lendemain, à quelques kilomètres, quatre catholiques ont été exécutés lors d’une procession religieuse à Zimtenga. Depuis, la macabre liste s’allonge. Dimanche 26 mai, quatre personnes ont été tuées dans l’attaque d’une paroisse à Toulfé, dans le nord du pays. En un mois, quatre attentats ont explicitement visé la communauté chrétienne du Burkina Faso.

« Nous sommes devenus des cibles, c’est clair. Les terroristes visent les célébrations religieuses, mais nous ne fuirons pas », assure Justin Kientega, l’évêque du diocèse de Ouahigouya, dont dépend la paroisse de Toulfé. André Poré, le curé de Ouahigouya, sent lui aussi « la psychose dans les villages », au point qu’il a « transféré certains catéchistes vers d’autres localités et commencé à sécuriser les lieux de culte ». Comme à Dori (nord-est), où l’évêque Laurent Dabiré s’inquiète pour ses croyants : « La peur est montée d’un cran. Les fidèles continuent de se réunir mais ils ne sont plus sereins. Nous nous attendons à une nouvelle attaque à tout moment. » Et d’avouer son « incompréhension », « car nous n’avons reçu aucune menace et nous nous demandons qui est derrière tout ça ».

Au risque d’attaque s’ajoute celui des enlèvements. Laurent Dabiré se sent d’autant plus exposé que, dans sa région, l’abbé Joël Yougbaré, à Djibo, est porté disparu depuis mi-mars. Enlevé par des individus non identifiés, il n’a plus donné signe de vie depuis. Le 15 février, c’est un missionnaire salésien espagnol qui avait été tué lors d’une attaque armée à Nohao, dans le sud du Burkina, près de la frontière ghanéenne.

« Nous devons rester soudés »

Ces derniers mois, les violences ont pris un nouveau visage dans ce pays devenu la cible des djihadistes depuis 2015. Après les assauts contre les forces de sécurité, les enlèvements et les assassinats d’élus locaux, les terroristes n’hésitent plus à s’en prendre aux civils, soufflant dangereusement sur les braises des tensions intercommunautaires.

Et la multiplication récente des attaques contre des chrétiens confirme, selon plusieurs spécialistes, la « nouvelle stratégie de déstabilisation » des groupes armés. « Plusieurs opérations militaires sont menées dans le nord et l’est du pays. Les civils constituent une cible plus facile pour les terroristes. En visant les lieux de culte, ils cherchent à diviser les populations en jouant sur la fibre religieuse et en accentuant la psychose », analyse Oumarou Paul Koalaga, expert en géopolitique et en sécurité.

Oualilaï Kindo, président de l’Observatoire national des faits religieux, appelle à ne pas tomber dans le piège : « Les groupes armés tentent par tous les moyens de mettre à mal notre cohésion sociale et de créer un conflit entre communautés. Ne cédons pas à cette énième provocation ! »

Du côté des autorités, la menace est prise « très au sérieux », nous assure-t-on au sommet de l’Etat. « Nous devons rester soudés, quelles que soient notre religion et notre ethnie, pour montrer à la face de ces terroristes que le Faso restera debout », a ainsi insisté le président burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré, le 14 mai, aux côtés des évêques d’Afrique de l’Ouest.

Un modèle de diversité religieuse

Les attaques contre la communauté chrétienne ont suscité une vive émotion au Burkina, qui faisait figure de modèle de tolérance et de diversité religieuse dans la région sahélienne. Au « pays des hommes intègres », qui compte environ 60 % de musulmans, 30 % de chrétiens et 8 % d’animistes, on vit et on se marie ensemble depuis longtemps. En ce mois de ramadan, on garde même un œil bienveillant sur ceux qui ne jeûnent pas.

« Dans une même famille, vous trouverez toutes les religions. On a appris à vivre ensemble et à se respecter, nous sommes Burkinabés avant d’être pratiquants », nous explique François Bado, un catholique, en servant un repas à ses « frères musulmans », des voisins et inconnus, devant son garage automobile de Ouagadougou, à l’heure de la rupture du jeûne.

La montée de l’extrémisme violent et le risque de stigmatisation de certaines communautés, des Peuls aux musulmans, menace « l’exemple burkinabé ». « Des crispations religieuses ont commencé à apparaître il y a quelques années. Les groupes terroristes cherchent à briser l’équilibre communautaire en menant des actions contre des symboles de la chrétienté, mais aussi contre les imams qu’ils jugent trop modérés », observe Rinaldo Depagne, le directeur pour l’Afrique de l’Ouest de l’ONG International Crisis Group (ICG), qui avait déjà tiré la sonnette d’alarme dans un rapport publié en 2016.