Yoichi Takahashi réfléchit longuement, très longuement. On serait mauvaise langue, on le croirait mentalement occupé à remonter les interminables terrains de football qui ont marqué tant d’enfants par sa faute. Le mangaka de 59 ans est l’auteur du célèbre manga sportif Captain Tsubasa, plus connu à sa sortie en France sous le nom d’Olive & Tom.

Il a bercé la jeunesse d’une génération entière de footballeurs, comme les champions du monde espagnols Iniesta et Torres, ou le prodige français Mbappé. Et les vidéomontages rendant hommage à son œuvre pleuvent à chaque but hors du commun, comme une certaine frappe de bâtard.

Cette notoriété internationale, l’auteur n’en revient toujours pas. « Pour moi, je dessinais juste un manga pour les enfants japonais. Je n’étais pas dans l’optique de le vendre à l’international. C’était complètement inattendu », raconte-t-il au Monde à l’occasion de l’annonce de la diffusion de la nouvelle série Captain Tsubasa, cet été, sur TF1.

Alors quand on lui demande à combien il fixerait le prix d’un transfert au Paris-Saint-Germain de son héros Tsubasa Ohzara (Olivier Hatton), son front se ride. « C’est vraiment très compliqué », hésite-t-il, penaud.

La révélation de la coupe du monde argentine

Ce pur enfant du Japon des années 1960 n’est tombé que tardivement dans le football. Ses premiers amours sont plutôt Takashi Tezuka et son influent manga Atsuwan Atomu (Astro Boy en VF) et l’équipe de baseball de Tokyo, les Giants, qui lui inspire ses premières histoires.

Il est alors influencé par des séries comme Kyojin no hoshi (1966-1971, Samurai Giants (1971-1974) ou encore Dokaben (1972-1981), autant de mangas inédits en France mais dont l’approche et le style se retrouveront dans Captain Tsubasa.

ちょい見せ「侍ジャイアンツ」| First Look "THE STAR PITCHER"(1973)
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Lorsqu’il apporte ses premières planches à l’influente revue de mangas Shonen Jump, en pleine fièvre Star Wars, il croit bon de miser sur la science-fiction. Mauvais choix. « Les premiers mangas que j’ai proposés n’ont pas été acceptés, se souvient-il. Mais en discutant avec mon responsable éditorial, M. Haruhiko Suzuki, on s’est rendus compte qu’on aimait tous les deux le sport. Il m’a conseillé de traiter du baseball ou du football. »

En cet été 1978, la télévision japonaise diffuse justement la coupe du monde qui a lieu en Argentine. Yoichi Takahashi est subjugué par la ferveur dans les stades, l’intensité du spectacle et la palette technique des joueurs. « Les athlètes ont beaucoup plus de liberté sur le terrain qu’au baseball, ils peuvent exprimer bien plus de créativité. Cela m’a beaucoup plu. » L’idée de Captain Tsubasa est née.

Un cliffhanger à chaque double page

« Captain Tsubasa » est publié dans Shonen Jump, une revue de prépublication en noir et blanc aux pages de mauvaise qualité, obligeant les auteurs à jouer des contrastes. / William Audureau/Pierre Trouvé

Il conçoit une simple histoire de rivalité entre un gardien de but, Wakabayashi (Tom en VF) et Tsubasa (Olivier). « Mais, au fil du temps, j’ai imaginé de nouveaux rivaux pour Tsubasa et relancer l’intrigue », comme le personnage Hyûga (Mark Landers en VF), le ténébreux attaquant ; les frères Derrick et leur catapulte infernale, ou le tragique Julian Ross, talentueux joueur affaibli par une maladie cardiaque.

Le courrier des lecteurs lui indique parfois la direction à suivre. « Quand il y avait des buts, que Tsubasa était heureux d’avoir marqué, cela plaisait beaucoup, par contre la réaction des lecteurs n’était pas terrible quand il perdait un match ou s’interrogeait sur ses choix de carrière », se souvient-il.

D’un point de vue formel, il développe un style dynamique et vivant, en dépit des contraintes du noir et blanc :

« Pour avoir du rythme dans la lecture, la principale étape est la fin de la page. J’essaie d’avoir un petit cliffhanger à la fin de chaque double, pour donner envie au lecteur de tourner la page. Je joue également sur la taille des bulles pour dynamiser l’action. »

Des mangas de ski et de football féminin inédits

Vous ne quitterez pas cet article sans avoir vu cette couverture de Hyaku M Jump, le manga de saut à ski de Yoichi Takahashi. / 100M JUMP © 1982 by Yoichi Takahashi / SHUEISHA Inc.

Ce que l’on sait moins, c’est qu’il s’adonne à d’autres œuvres en parallèle, également des séries sportives, sur la boxe, le tennis, et même le saut à ski. « Quand j’étais à l’école, j’étais allé voir une épreuve aux Jeux olympiques d’hiver de Sapporo. Je m’étais dit qu’un jour je le ferais en manga, si j’avais la possibilité. »

D’une manière générale, ce vétéran de la scène manga des années 1980 assume dessiner au plaisir, depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui. Et quand on l’interroge sur l’absence troublante de footballeuses dans Captain Tsubasaa fortiori d’héroïne dans le pilote de son remake –, il botte en touche : il a signé, en 2011, Soccer Shojo Kaede. Cette courte série est inspirée de la carrière de la capitaine de l’équipe du Japon championne du monde, Homare Sawa. Mais elle n’a jamais été traduite en France.

Bonjour Glénat, pourriez-vous traduire et éditer ce manga en français ? Cordialement, la rubrique Pixels du Monde / Soccer Shojo Kaede © 2011 by Yoichi Takahashi / SHUEISHA Inc.

Tsubasa joue désormais à Barcelone

En France, on le connaît surtout pour son suivi du football masculin, notamment européen. Encore aujourd’hui – la publication de Captain Tsubasa continue, au Japon –, il dessine la nuit, la télévision allumée sur les retransmissions de matchs de grands championnats, et notamment espagnol.

Photo rare de Tsubasa Ohzara au FC Barcelone, avant son inévitable achat par Nasser al-Khelaïfi, le président du Paris Saint Germain. / CAPTAIN TSUBASA EN LA LIGA © 2010 by Yoichi Takahashi / SHUEISHA Inc.

Le FC Barcelone est son club de cœur. « J’apprécie beaucoup leur style de jeu. J’ai eu l’occasion dans ma vie de visiter plein de stades, et j’adore le Camp Nou. Et puis la vie à Barcelone est très agréable. C’est vraiment un tout. » Depuis 2010, la série envoie d’ailleurs le héros au Barça, dans une suite idoinement nommée Captain Tsubasa : en la Liga.

Verra-t-on un jour Tsubasa Ohzora évoluer sur les pelouses de la Ligue 1 Conforama ? « Ce n’est pas vraiment dans les projets, écarte-t-il, poliment. Mais des personnages qui jouent dans le monde entier, il y en aura de plus en plus, donc il n’est pas impossible que j’en fasse apparaître dans le championnat français. »

Se renouveler après près de quarante ans de dessin est « très difficile », admet-il. En ce moment, Tsubasa emmène la sélection olympique japonaise aux JO imaginaires de Madrid. « J’ai à peu près dit tout ce que j’avais à dire dans le football, reconnaît-il. Mais en continuant de regarder du football à la télévision, il est possible que je trouve de nouvelles choses à raconter. » Il n’exclue pas d’introduire des innovations désormais bien connues des téléspectateurs, comme la VAR, l’assistance vidéo.

L’équipe de France 2018 « très agréable à regarder »

D’une manière générale, le « roi du manga sportif » assume s’appuyer sur la réalité. « La plupart des joueurs sont de ma création, mais il est vrai que j’ai parfois puisé l’inspiration dans le football réel. Pour Tsubasa et son jeu, j’ai beaucoup été inspiré par Maradona, Platini et Zico », explique-t-il. Aujourd’hui, il compare plus volontiers son héros prodige à Messi, et son fier rival, Hyugan à Ronaldo, ses deux joueurs préférés. Bon seigneur, il cite également Griezmann et Mbappé – qui, lui-même, n’a pas manqué de se comparer par le passé à Tsubasa.

Interrogé sur ce qu’il a pensé du style de l’équipe de France à la Coupe du monde, Yoichi Takahashi loue le travail de Didier Deschamps. « Il y avait un bon équilibre entre les joueurs, c’était très agréable à regarder », déclare de manière flatteuse celui qui, de toute évidence, n’est pas supporteur des Diables rouges, ou bien avait sa télé coupée durant France-Danemark.

Mais alors, selon lui, qui est le meilleur entre Tsubasa et Mbappé ? A nouveau son front se ride. « C’est trop difficile. Ils sont aussi forts, évacue-t-il après un long silence pensif, avant de finir par trancher. Tsubasa c’est un personnage de manga, donc il peut faire des choses plus impressionnantes que Mbappé. » L’honnêteté intellectuelle nous oblige à nuancer sa réponse : Tsubasa saute beaucoup plus haut, mais Mbappé remonte quand même le terrain plus rapidement.

CAPTAIN TSUBASA © 1981 by Yoichi Takahashi / SHUEISHA Inc.

L’interview touche à sa fin. Alors, le prix d’un transfert de Tsubasa au Paris-Saint-Germain, combien ? Yoichi Takahashi finit par jouer la carte de la modestie : « Il ne serait pas aussi cher que Neymar. Je pense qu’il serait au prix de ce dernier quand il est passé de Sao Paulo au Barça [soit 50 millions d’euros]. Cela ne fait qu’un an que Tsubasa est à Barcelone. Il n’est pas encore trop cher. » D’ores et déjà la meilleure affaire de ce mercato.