Les joueurs de Tottenham, déçus après avoir encaissé un but contre Bournemouth, en Premier League, le 4 mai. / AP/Matt Dunham

A-t-on vraiment besoin de gagner la Ligue des champions lorsqu’on est, déjà, passé à la postérité en léguant au football un anthroponyme ? Si 22 clubs peuvent se targuer d’avoir remporté la C1, beaucoup moins sont entrés dans le langage courant. C’est le cas en Angleterre du Tottenham Hotspur FC, qui dispute sa première finale de Ligue des champions samedi 1er juin face à Liverpool. Certes, contrairement à une « fake news » ayant circulé il y a trois ans outre-Manche, « Spursy », dérivé du nom des joueurs, les Spurs, n’est jamais entré dans le prestigieux dictionnaire Oxford, et n’a pas franchi le comité de supervision du Collins.

Mais l’épithète est courante chez les amateurs de football anglais, et pas franchement flatteur : il désigne l’art de tout foutre en l’air alors que les choses se présentent pour le mieux, ou celui de renverser à son désavantage une situation qui semblait idéale. Il est utilisé par les adversaires de Tottenham pour se moquer d’eux, tandis que les supporteurs des Spurs rêveraient de le voir disparaître, ce qui est en très bonne voie. « Beaucoup d’entre nous n’aiment pas ce terme. Mais Spursy, ça n’existe plus, c’est terminé… sauf si on perd à la dernière minute comme Liverpool, auquel cas ça ressurgira !, concède Pete Haine, secrétaire général du Tottenham Hotspur Supporters Trust (THST). “Spursy”, c’est : “On y est presque, mais on n’y arrive pas”. Ces dix, 15 dernières années, on a toujours été proches de devenir un grand club mais sans jamais y arriver. »

« Les gars, c’est Tottenham »

Les supporteurs de Tottenham, et leurs adversaires qui aiment en rire, peuvent citer sans réfléchir plusieurs épisodes particulièrement « Spursy », ces dernières années. Comme la course au titre anglais en 2016, lorsque Leicester a conservé la tête jusqu’au bout alors que Tottenham était le seul « grand » club anglais placé, au printemps, pour le détrôner. Les Spurs avaient tellement raté leur fin de saison qu’ils avaient même été doublés par leur rival, Arsenal, lors de la dernière journée.

« La seule chose dont on peut vraiment être sûrs avec les Spurs, c’est qu’ils vont nous décevoir »

Quatre ans plus tôt, une même désastreuse fin de saison n’avait pas empêché Tottenham de se qualifier pour la Ligue des champions… jusqu’à ce que Chelsea, après la fin du championnat, remporte la Coupe d’Europe et vole leur ticket aux Spurs. Le manque de réussite du club anglais en demi-finale de FA Cup – sept perdues depuis leur dernière finale, en 1991 – est aussi cité comme un symptôme.

Dans « Spursy », il est question de fragilité mentale, de beau jeu suivi d’un effondrement spectaculaire. « Les gars, c’est Tottenham », a dit un jour Sir Alex Ferguson à ses joueurs avant la rencontre, comme pour signifier que Manchester United remporterait ce match quoi qu’il arrive.

« La seule chose dont on peut vraiment être sûrs avec les Spurs, c’est qu’ils vont nous décevoir », disait l’ancien consultant de Match of the Day, le Téléfoot britannique, l’ex-Gunner Alan Hansen. La réputation de Tottenham a dépassé les frontières, en témoigne cette réaction l’an dernier de Giorgio Chiellini, défenseur de la Juventus Turin, après un retournement de situation en Ligue des champions sur la pelouse des Anglais : « C’est l’histoire de Tottenham. Ils ont toujours beaucoup d’occasions et ils marquent, mais à la fin, il leur manque toujours quelque chose pour aller au bout. »

Giorgio Chiellini - History of the Tottenham
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Pochettino a tout changé

Jusqu’à l’arrivée de Mauricio Pochettino sur le banc, en 2014, Tottenham semblait avoir accepté qu’être « Spursy » était dans son ADN. Cette saison-là était cousue dans le maillot des joueurs cette phrase : « Il vaut mieux échouer en étant ambitieux que réussir sans la moindre ambition. Et nous, les Spurs, avons d’immenses ambitions, si grandes que même dans l’échec résonnera l’écho de la gloire. » La phrase est tantôt attribuée à Bill Nicholson, la légende du club – entre 1938 et 1974, comme joueur puis entraîneur –, tantôt à Danny Blanchflower, le capitaine de la période dorée de Tottenham (1954-1964). Car oui, Tottenham a gagné de beaux trophées, il y a longtemps : notamment un doublé coupe-championnat en 1961, et le premier titre européen de l’histoire du football anglais, la Coupe des Coupes, en 1963.

Les Spurs en sont convaincus : Pochettino est parvenu à en finir avec cette friabilité, cette science de la défaite au moment clé. Les chiffres le montrent : Tottenham ne perd plus contre des équipes réputées moins bonnes, ne se fait plus remonter au score. Ils évoluent désormais plus haut que leur budget ne devrait le leur permettre : l’été dernier, les Spurs n’ont pas dépensé une livre en indemnité de transferts. La somme des transferts depuis l’arrivée de l’entraîneur argentin il y a quatre saisons est de 50 millions de livres (56 millions d’euros), soit un dixième environ de ce qu’ont dépensé City ou United dans le même temps. Et la masse salariale de Tottenham est la sixième du championnat, loin derrière les cinq premiers.

« Je pense que nous sommes en train de construire une structure très solide, une mentalité de gagnants, et il n’y a pas que les joueurs à féliciter pour cela, cela concerne tout le club », disait récemment Pochettino, dont la méthode pour absorber les ondes négatives de ses interlocuteurs au club consiste à… poser des citrons dans un bol sur son bureau.

L’espoir est revenu à Tottenham. Le « Glory, Glory » de l’hymne du club est prêt à trouver un prolongement dans la vitrine à trophées. Si le Stade Rennais l’a fait, alors…

Lanya Matthews - Glory Glory : TOTTENHAM HOTSPUR OPENING CEREMONY
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