A l’instar d’Eror (The Pianist), qui sera présenté en création française le 6 juin, au T2G- Théâtre de Gennevilliers, à 20 heures, la cartographie des œuvres de Georgia Spiropoulos (titre, sous-titre, genre, effectif et dispositif) ressemble à l’itinéraire musical de la compositrice. Une longue chaîne d’éléments que l’on ne s’attend pas à retrouver dans une même perspective.

Que la musicienne née à Athènes en 1965 s’initie au jazz parallèlement à des études de piano, de contrepoint et de fugue n’a certes rien de déconcertant, mais qu’elle travaille pendant dix ans dans le domaine de la transmission orale après s’être longuement formée à l’écriture ne tombe pas directement sous le sens. Sauf, sans doute, pour elle, alors coiffée d’une double casquette d’instrumentiste et d’arrangeuse de musique traditionnelle.

Nouvelle orientation quelque peu paradoxale en 1996 avec un départ (d’Athènes à Paris) qui sonne comme un retour – à la composition « savante » sous la férule de Philippe Leroux. Après avoir découvert ainsi la musique électroacoustique, c’est toutefois naturellement qu’elle suit, en 2000, le cursus d’informatique musicale de l’Ircam qui lui vaut de côtoyer des personnalités aussi contrastées (de Jonathan Harvey à Brian Ferneyhough, Tristan Murail ou Philippe Hurel) que son parcours.

Oralité d’aujourd’hui

L’institution boulézienne devient bientôt son port d’attache. Elle y développe en 2008 un projet de recherche, Mask, pour élaborer des transformations de la voix et créer des outils pour la performance live. Associer un interprète (l’impliquer, même, puisqu’une part d’improvisation lui est toujours demandée) à une technologie de pointe (sonore et parfois visuelle) apparaît alors comme le mode de création privilégié par la compositrice.

Dans ce domaine, une référence est produite en 2010 avec Les Bacchantes, hommage à Iannis Xenakis, « action vocale et scénique pour un seul interprète, électronique et lumières », d’après Euripide. Georgia Spiropoulos signe la musique et la mise en scène, tandis que Médéric Collignon, artiste multivocaliste, réalise une performance à couper le souffle. Le résultat semble inverser les rapports entre passé et présent. L’âpreté, pour ne pas dire la sauvagerie, de la dimension vocale (râles, hurlements, sons étranglés ou obtenus en tapotant sur la gorge) relève d’une oralité d’aujourd’hui (Spiropoulos dit avoir écouté certains types de rock) tandis que l’électronique, du genre sirène virtuelle, renvoie à la civilisation « ancienne » du studio.

« Je rêve d’un opéra aussi libre et aussi populaire qu’une salle de cinéma ou de catch. »

Créé en 2015 avec la collaboration de la harpiste Hélène Breschand, Roll… n’Roll… n’Roll est du même tonneau, à la fois bruitiste (frottement des cordes et du bois de l’instrument avec un archet ou diverses mailloches) et sensuel (ondes cristallines de l’électronique). De la Grèce antique (texte d’Euripide, choix de la harpe) évoquée dans ces deux pièces, Georgia Spiropoulos est passée à la Grèce cont emporaine avec sa nouvelle œuvre, dont le titre fait écho à une inscription fautive remarquée sur un mur d’Athènes, au moment de la crise financière qui secouait le pays. Sous-titré « Commentaires sur l’instabilité de la ville », Eror (The Pianist) est qualifié de « fantasmagorie pour un pianiste-improvisateur-performeur, électronique et théâtre d’ombres animées ».

Appelé à s’exprimer dans un environnement Ircam (réalisé par Benjamin Levy), le pianiste (Alvise Sinivia) doit littéralement « s’arracher » sur le plan vocal (cris…) tout en extirpant de son instrument quantité de sons inusités. En fond de scène, une vidéo conçue par la compositrice montre des maquettes urbaines de type enfantin et les « ombres animées », une foule de personnages au corps hachuré de blanc et au visage apparenté à un masque noir, qui dodelinent du chef.

Sur le site de Georgia Spiropoulos, une phrase est reproduite en français : « Je rêve d’un opéra aussi libre et aussi populaire qu’une salle de cinéma ou de catch. » Avec le punch du pianiste-improvisateur et les projections grand public qui l’accompagnent, le Théâtre de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), le 6 juin, devrait s’approcher de cet idéal emprunté à Roland Barthes.

Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Ircam.