Lors de la cérémonie de présentation du rapport de la commission d’enquête publique, à Gatineau (Québec), le 3 juin. / Adrian Wyld / AP

Plus d’un millier de femmes autochtones ont disparues ou ont été assassinées au Canada ces dernières décennies. Un « génocide » conclut une commission d’enquête publique, dont le rapport a été remis lundi 3 juin, après plus de deux ans de travaux.

Les auteurs de ces meurtres et de ces disparitions étaient de toutes origines ethniques. Certains étaient les partenaires de ces femmes, d’autres des membres de leur entourage. Il s’agissait parfois d’étrangers, y compris des tueurs en série, révèle cette enquête présentée lors d’une cérémonie en présence du premier ministre Justin Trudeau et des familles des disparues à Gatineau, ville québécoise située en face d’Ottawa.

Le rapport souligne que les femmes et les filles autochtones font face à un niveau de violence disproportionnellement élevé en raison des « actions et inactions de l’Etat qui trouvent leurs racines dans le colonialisme et les idéologies connexes, reposant sur une présomption de supériorité ». Après avoir entendu ou recueilli les témoignages de plus de 2 000 personnes, la commission estime que les victimes sont probablement plusieurs milliers, mais que « nul ne connaît » leur nombre exact.

« Malgré des circonstances et des contextes variables, tous les meurtres et disparitions ont en commun la marginalisation économique, sociale et politique, le racisme et la misogynie qui font partie intégrante du tissu social canadien », a expliqué Marion Buller, commissaire en chef. Selon elle, « la dure réalité, c’est que nous vivons dans un pays dont les lois et les institutions perpétuent les violations des droits fondamentaux, ce qui mène à un génocide envers les femmes, les filles et les personnes » autochtones issues de minorités sexuelles.

« Million de petites blessures, au fil des générations »

L’utilisation du terme « génocide » – cité à plus de 120 reprises dans le rapport – a été vivement critiquée, notamment par le premier ministre du Québec, François Legault. Il a estimé lundi que les faits avancés dans l’enquête, bien que « très graves », ne reflètent pas suffisamment les définitions internationales ou juridiques du génocide.

« D’après les preuves que nous avons entendues et lues, c’était une conclusion inéluctable », a pour sa part estimé Mme Buller devant les journalistes.

« Nous pensons souvent aux génocides comme l’Holocauste et les massacres [de masse] en Afrique et ailleurs, et bien sûr, c’est un génocide et c’est une tragédie. Mais le type de génocide que nous subissons au Canada, c’est... la mort par un million de petites blessures, au fil des générations. »

« C’est une histoire qui est inimaginable pour la plupart des Canadiens. Mais pour beaucoup de gens, c’est une réalité déchirante », a réagi Justin Trudeau, qui a fait de la réconciliation avec les populations autochtones l’une des priorités de son mandat. « Notre système de justice ne leur a pas rendu justice et a échoué malheureusement », a-t-il dit, sans jamais reprendre cependant le terme « génocide ». « C’est honteux. C’est inacceptable et cela doit prendre fin », a-t-il insisté, promettant de lancer un « plan d’action national » pour apporter des réponses « concrètes et cohérentes » aux conclusions du rapport.

Le premier ministre Justin Trudeau, lors de la cérémonie de présentation du rapport de la commission d’enquête publique, à Gatineau (Québec), le 3 juin. / Adrian Wyld / AP

« Taux d’homicides près de sept fois plus élevé »

Le Canada a « imposé » ses « propres lois, institutions et cultures aux peuples autochtones » en cherchant à les « éliminer », rappelle le rapport. « Les femmes et les filles autochtones sont douze fois plus susceptibles d’être victimes de violence que les femmes non-autochtones », a souligné Michèle Audette, l’une des quatre commissaires de l’enquête.

« Entre 1997 et 2000, le taux d’homicides était près de sept fois plus élevé pour les femmes autochtones que pour les femmes non-autochtones », a-t-elle souligné citant des statistiques officielles. Toute cette violence reflète des « traumatismes transgénérationnels et intergénérationnels » et « une marginalisation sous forme de pauvreté, de logement précaire ou d’itinérance et d’obstacles à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé et au soutien culturel », selon le document.

L’enquête incluait également « les personnes de diverses identités de genre et non binaires métisses, inuites et des premières Nations représentées par l’acronyme 2ELGBTQQIA [personnes bispirituelles, lesbiennes, gays, personnes bisexuelles, transgenres, queer, en questionnement et personnes intersexuées ou asexuelles] ».

Le rapport recommande notamment au gouvernement la création d’un poste de défenseur national des droits des autochtones, d’un tribunal spécialisé et d’un organisme de surveillance de la police. Il appelle également à des réformes majeures, faisant 231 recommandations pour améliorer la sécurité, la justice, la santé et la culture pour les 1,6 million d’autochtones, inuits et métis, qui forment un peu plus de 4 % de la population canadienne.

Michèle Audette : « Au Canada, les autochtones sont devenus une monnaie d’échange »
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