Le président du Conseil italien, Giuseppe Conte, et le celui de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à Bruxelles, en décembre 12018. / Francois Lenoir / REUTERS

Bis repetita. A l’automne dernier, la Commission européenne avait dû monter une première fois au créneau contre les projets de « budget du peuple » italien, jugeant les ambitions de dépenses publiques du gouvernement populiste – formé par le M5S (« antisystème ») et la Ligue (extrême droite) – complètement hors des clous du pacte de stabilité et de croissance. Bruxelles et Rome avaient finalement mis leur différend de côté fin 2018, la Commission ne tenant pas à attiser le sentiment antieuropéen, à quelques mois des élections européennes du 26 mai.

Le scrutin est passé, et le risque populiste a été contenu au Parlement de Strasbourg. La Commission devrait donc relancer les hostilités, mercredi 5 juin, avec la publication d’une étude sur la dette publique transalpine en 2018, concluant que l’ouverture d’une procédure « pour déficits excessifs au titre de la dette » à l’encontre de Rome est « justifiée ». L’an dernier, cette dette a atteint 132,2% du produit intérieur brut (PIB), continuant à enfler, alors qu’elle était déjà sous surveillance, au niveau – considérable – de 131,4% en 2017.

La Commission a par ailleurs constaté qu’en 2018, l’Italie n’avait pas non plus fourni l’effort « structurel » requis (réduction de ses dépenses publiques liée à des réformes), dans le cadre des règles du pacte. Il aurait dû atteindre 0,3 % de son PIB, mais Rome a choisi la relance budgétaire, avec pour conséquence un accroissement de 0,1 % de son déficit budgétaire structurel.

Cette analyse de la Commission doit être confirmée par le Comité économique et financier, une formation du Conseil (les Etats) où siègent les représentants des Trésors des 28 Etats de l’Union européenne (UE). Une réunion de ce club très fermé est fixée au mardi 11 juin. Les ministres des finances de l’UE, réunis en Ecofin, doivent ensuite donner leur avis, au plus tôt lors de leur réunion du 14 juin. Cette étape franchie, la Commission n’aura d’autre choix que de recommander formellement l’ouverture d’une procédure pour déficits excessifs, et de la soumettre à l’Ecofin de juillet.

Procédure particulièrement stigmatisante

Les ministres européens, à qui il échoit de lancer définitivement cette procédure particulièrement stigmatisante, franchiront-ils alors le Rubicon ? Elle ne sera sur les rails qu’à condition de n’avoir pas été contestée par une majorité qualifiée d’Etats membres (c’est ce qu’on appelle, dans le jargon bruxellois, « une majorité qualifiée inversée »).

Il s’agirait en tout cas d’une première. Si jusqu’à une dizaine de pays ont fait l’objet d’une procédure pour déficits excessifs durant la crise financière (dont la France, qui n’en est sortie qu’en 2018), aucun n’a encore été visé pour sa dette. Dans le cas italien, cela impliquerait une surveillance rapprochée par les autorités bruxelloises « pour les six à neuf prochaines années », selon un diplomate bruxellois.

A la Commission, d’aucuns plaident pour une ligne dure : les dirigeants de l’institution, à commencer par son président, Jean-Claude Juncker, sont sur le départ et veulent éviter de laisser en héritage une attitude que les « orthodoxes » du pacte de stabilité et de croissance – Néerlandais ou Allemands au premier chef – auraient tôt fait de juger laxiste. Au Conseil, les ministres pourraient se montrer moins enthousiastes : ils préféreraient, comme à l’automne 2018, que « les marchés financiers fassent le travail », estime un diplomate, ce qui obligerait le gouvernement italien à transiger avec Bruxelles pour éviter un renchérissement trop considérable de ses conditions de financement.

Pour tenter d’en arriver là, les discussions entre la Commission Juncker et Rome ont d’ores et déjà commencé. On discute, entre autres, d’un report possible des dépenses prévues en 2019. L’Italie avait déjà fait cette promesse en décembre, mais elle n’a été qu’en partie tenue. Le problème, pour les Européens, c’est qu’ils ne savent pas très bien au nom de qui négocie leur interlocuteur, le ministre des finances Giovanni Tria, les tensions entre le M5S et la Ligue s’étant encore exacerbées dans la foulée du scrutin européen.

La France épargnée

La Commission européenne devrait aussi confirmer, mercredi 5 juin, que le déficit public français, s’il dépasse les 3 % en 2019 (3,1 % prévus), n’est pas pour autant jugé « excessif », 0,9 point de produit intérieur brut (PIB) de déficit étant imputables à la conversion du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en allégements de charges permanents. Bruxelles escompte que le déficit français retombe largement sous la barre des 3 % en 2020. La Belgique et Chypre, également dans le collimateur pour des finances publiques ayant pris des libertés avec le pacte de stabilité, échapperont aussi à une procédure pour déficits excessifs. L’Espagne, dernier pays à se trouver encore dans le cadre de cette procédure, devrait même officiellement en sortir, mercredi.