A Villers-Ecalles, village normand proche de Rouen (Seine-Maritime), l’usine Ferrero, premier site mondial de fabrication de Nutella, est bloquée depuis le mardi 28 mai. / Gilles Triolier pour "Le Monde"

Des banderoles « Ferrero = radin », quelques palettes, des toiles de tente, un barbecue et même une table de ping-pong. A Villers-Ecalles, village normand proche de Rouen (Seine-Maritime), l’usine Ferrero, premier site mondial de fabrication de Nutella, est bloquée, depuis le mardi 28 mai, par des salariés grévistes revendiquant des hausses de salaires. Aucun camion n’entre ni ne sort de l’usine depuis sept jours.

« On ne lâche rien. C’est la direction qui va lâcher », tonne au micro, ce mardi midi, Fabien Lacabanne, délégué syndical central Force ouvrière (FO) du site. Selon lui, plus d’un tiers du personnel est en grève. « Cent cinquante salariés sur les quatre cents qu’emploie l’usine, essentiellement des ouvriers, employés et agents de maîtrise, ont cessé le travail », comptabilise-t-il.

De source syndicale, le manque de matières premières a obligé le groupe familial italien à réduire de façon draconienne la production. « La fabrication de Kinder Bueno est arrêtée, assure le syndicaliste, et une seule des quatre lignes de production affectées au Nutella tourne encore à 20 % de sa capacité. »

« La seule méthode pour se faire entendre »

« Toucher au porte-monnaie est la seule méthode pour se faire entendre », estiment en chœur les salariés qui tiennent jour et nuit le piquet de grève. Dans le cadre de la procédure des négociations annuelles obligatoires, ils réclament une augmentation des salaires de « 3,5 % », une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat de « 900 euros », ainsi que la modernisation de leur outil de production, jugé « obsolète ».

« Après avoir évoqué 0,4 % de hausse, la direction parle de 1,8 %, à peine le niveau de l’inflation. Ce n’est pas suffisant, surtout pour une entreprise qui réalise plus de 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires en France », avance le syndicaliste Fabien Lacabanne, qui peste encore « contre le refus de la direction d’accorder la prime dite Macron à la fin de l’année dernière ».

Assise sous une tente, Véronique, « vingt-six ans de boîte et 1 400 euros mensuels », décrit « des conditions de travail pénibles à cause des vieilles machines qui s’arrêtent tout le temps ». A ses côtés, Sandra, 30 ans, dit « avoir du mal à joindre les deux bouts avec 1 300 euros et trois enfants à charge ». Jérôme, pour sa part, rit jaune face « aux miettes auxquelles on a droit alors que le groupe vient de construire un nouvel entrepôt pour 38 millions d’euros ». Au-delà, tous expriment « un ras-le-bol général » et une certaine amertume en comparant leurs conditions de travail à celles des « salariés du siège social, juste à côté de Rouen, qui sont bien mieux lotis ».

« Pénalités d’astreinte »

Après six jours de discussions infructueuses, Ferrero a haussé le ton par le biais d’une procédure en justice. « La direction de l’usine a été contrainte de notifier aux grévistes bloquant illégalement l’accès au site la mise en place, sur décision de justice, de pénalités d’astreinte tant que l’accès à l’usine restera bloqué. Ces pénalités sont entrées en vigueur ce matin [lundi] à 6 heures après notification aux grévistes qui n’ont néanmoins toujours pas libéré l’accès à l’usine », nous répond-elle par courriel.

Dans un autre courriel, interne celui-ci, que Le Monde a pu consulter, il est écrit que le montant de l’astreinte est de « 1 000 euros par heure et par personne bloquant » l’accès au site. « C’est vraiment dégueulasse, lâche Daniel, un ouvrier. Une telle somme, ça impressionne, surtout des gens pas très riches. Certains ont peur. Une fille a même fait un malaise. » Après consultation de l’avocat de FO au plan national, le délégué syndical Fabien Lacabanne estime que cette « ordonnance est contestable ». Et de poursuivre : « On ne peut être jugés sans avoir été convoqués et entendus par le tribunal de grande instance de Rouen. »

Contactée par Le Monde, la direction de l’entreprise indique « regretter vivement cette situation et réaffirme rester ouverte au dialogue, dans le respect des valeurs du groupe Ferrero et dès lors que le libre accès au site sera rétabli ». Elle assure, par ailleurs, qu’il n’existe « pas de risque de problème d’approvisionnement et pas de risque de pénurie ».

L’usine de Villers-Ecalles produit six cent mille pots de Nutella par jour, soit un quart de la production mondiale de la célèbre et controversée pâte à tartiner. La barre chocolatée Kinder Bueno y est également fabriquée.