Ils sont jugés pour la première fois. Habillés sobrement, en noir, Pierre-Antoine Charpentier, 21 ans, et Ludivine Besacier, 30 ans, répondent avec calme aux questions de la présidente de la 23e chambre correctionnelle du Tribunal de Paris, ce mardi 4 juin. Une image qui tranche avec les faits qui leur sont reprochés.

Les deux militants antispécistes (un courant de pensée qui considère qu’il n’existe pas de différence entre les espèces) sont en effet poursuivis pour « violence en réunion » et « dégradation » après l’agression sur son stand d’un boucher bio, Steevens Kissouna, au marché couvert de Saint-Quentin, dans le 10e arrondissement de la capitale, le 4 mai dernier. Entendus en comparution immédiate le 6 mai, ils avaient vu leur procès renvoyé.

Tout part d’un événement posté sur Facebook, organisé par l’association 269 Life qui défend les droits des animaux. Une cause qui « tient à cœur » les prévenus. Pierre-Antoine et Ludivine décident d’y participer, sans connaître alors la nature de l’action. Une quinzaine de militants se rejoignent le samedi 4 mai dans un square à côté du marché couvert.

« Montrer l’horreur de l’abattage »

« On a eu un briefing et c’est là qu’il a été question de mettre du faux sang sur la vitrine et le sol de la boucherie à l’entrée », expose le jeune homme. Mais il insiste sur les conditions : visage découvert et non-violence sont de mise. « Quel était le but supposé de cette action ? », interroge la juge. « Interpeller et montrer l’horreur de l’abattage », répond avec conviction Ludivine.

Les deux militants racontent ensuite à la barre le déroulé de l’action. Vers 16 h 30, la quinzaine de personnes est entrée dans le marché de Saint-Quentin, avant de répandre du liquide rouge, « végétal et non toxique », contenu dans des bouteilles, sur le stand de Steevens Kissouna, boucher de 33 ans. Des slogans sont scandés - « Justice pour les animaux ! » -, des pancartes brandies. Des cris s’élèvent, des seaux d’eau sont lancés par le fleuriste et le poissonnier des stands voisins. Après une dizaine de minutes, les activistes sont poussés vers la sortie par les commerçants.

L’agression physique du boucher au centre des débats

Ludivine et Pierre-Antoine reconnaissent avoir dégradé la boucherie avec du faux sang. Ils s’excusent même. « C’est une erreur de ma part mais je pensais que ce n’était pas une dégradation », avoue l’étudiant en mathématiques. Mais ils nient l’agression personnelle de Steevens Kissouna. « Aucun contact, ni physique ni verbal », assure la jeune femme, sans emploi. Une version en contradiction avec celle du boucher guadeloupéen. Alors qu’il prépare une commande, il sent un liquide le toucher à la tête, voit les manifestants, range ses couteaux - « je ne sais pas ce qu’ils veulent à ce moment-là ». Il fait le tour de son stand, s’approche de Pierre-Antoine en face de lui.

Le trentenaire explique avoir eu une altercation avec le militant et reçu un « coup de poing dans la côte » qui l’aurait fait tomber. Des violences non établies selon l’avocat de la Défense, Me François Ormillien. Il plaide la relaxe, mettant en cause un « dossier lacunaire », malgré le certificat médical et l’interruption temporaire de travail de sept jours de Steevens Kissouna.

La violence comme mode d’action en question

Plutôt qu’une peine d’emprisonnement, la défense plaide pour un « avertissement ». « J’ai été dépassé par l’événement », admet Pierre-Antoine. « Cette comparution vous a-t-elle fait réfléchir à vos actions militantes ? », demande Me François Ormillien, sondant la bonne foi des prévenus. Les jeunes gens réitèrent leur engagement pour la cause animale, mais assurent ne plus envisager de participer à des « actions non-déclarées ».

Un mea culpa qui ne satisfait pas la partie civile, ni le ministère public. Me Carine Kalfon dénonce un « appel à la haine » et « la rage de vouloir détruire une profession », réclamant plusieurs milliers d’euros de dommages et intérêts. « L’antispécisme est à l’écologie ce que l’intégrisme est à la religion », ajoute, sévère, Me Louis Robatel. La procureure nuance, mais demeure ferme : « On peut exprimer ses convictions, défendre une cause », mais on ne peut pas « basculer dans l’infraction pénale et la violence ». Elle requiert donc six mois d’emprisonnement avec sursis pour Pierre-Antoine Charpentier, trois mois avec sursis pour Ludivine Besacier et une interdiction de séjour pour un an au marché de Saint-Quentin à l’encontre des deux prévenus. Plus qu’un simple avertissement.