L’avis du « Monde » - A ne pas manquer

Il y a ce plan, qui pourrait résumer à lui seul la beauté nouvelle des Particules, de Blaise Harrison, sélectionné cette année à la Quinzaine des réalisateurs cannoise. P.A., lycéen en terminale à l’allure indolente, observe une fille qui lui plaît. Un plan de trois-quart, exhalant le désir, capte un bout de nuque de la lycéenne et, sur sa joue, quelques boutons d’acné. L’adolescence des Particules est concrète, rugueuse, dépourvue des joliesses habituelles. Elle est aussi furieuse qu’apathique, belle et boutonneuse. Une autre scène de photo de classe en rend compte : des looks impossibles, des gueules d’ange aux cheveux gras, des dégaines maladroites qui tentent la pose – on pense aux trognes de Passe ton bac d’abord (1978), de Maurice Pialat.

Documentariste, Blaise Harrison signe avec Les Particules son premier long-métrage de fiction. La méthodologie fictionnelle s’apparente à celle du documentaire : des jeunes gens repérés sur place dans le pays de Gex qui est aussi la région natale du cinéaste. Tous sont non professionnels et jouent leur propre rôle à l’exception du héros, P.A., qu’incarne le fulgurant Thomas Daloz. Un visage né pour le cinéma, figé dans une stupeur innocente, et que le cinéaste filme presque toujours de profil, comme il le ferait d’un animal.

Les Particules est l’histoire d’une chronique adolescente peu à peu dévorée par le fantastique. Un jour, la classe de P.A. visite dans la région l’accélérateur de particules de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), le plus grand et le plus puissant du monde, qui rejoue les conditions d’énergie du Big Bang. Depuis ce jour, l’adolescent assiste à d’étranges phénomènes qui s’apparentent à des hallucinations visuelles.

Hallucinations

Sur le papier, Les Particules s’aventure sur le terrain connu du teen-movie fantastique. Un genre qui, trop souvent en France, ne soutient pas la comparaison avec ses modèles américains. Mais loin de simplement rêver à l’Amérique (même si on pense, entre autres, à David Lynch ou à Jeff Nichols), Harrison fait pousser sa fiction là où il se trouve, dans les paysages montagneux de la frontière franco-suisse. Les scènes du film semblent naître de la collision entre une idée de cinéma et la réalité des paysages, des décors, des visages – le cinéaste s’adapte à eux, et non l’inverse.

Sur le terrain du teen-movie, toutes les scènes y passent : les premiers émois amoureux, la fête, les scènes de classe, la bringue entre amis. Et toutes échappent miraculeusement à une sensation de déjà-vu, déjà-filmé. Cela tient à un détail : un cadrage, un dialogue, une manière de couper la scène, de jouer sur les ellipses, de travailler le son, de regarder l’action depuis le cerveau embrumé de P.A. Une précision cinématographique qui creuse des anfractuosités et crée des contretemps dans la trame si lisse et familière du film d’adolescent.

La bande de jeunes acteurs y est pour beaucoup. Harrison les utilise comme une matière brute qu’il ne faut surtout pas dégrossir, un morceau de réel qui défait sans cesse le désir de maîtrise du cinéaste. Devant Les Particules, on se dit que le corps adolescent doit être filmé ainsi : comme un corps burlesque, en retard sur l’action, figé dans le mal-être. Et l’adolescence est bien cela : la traversée hallucinée d’angoisses sourdes.

Film franco-suisse de Blaise Harrison. Avec Thomas Daloz, Néa Lüders, Salvatore Ferro (1 h 38). Sur le Web.

LES PARTICULES bande annonce officielle
Durée : 01:36