Photo d’illustration. / RODGER BOSCH / AFP

Au cœur des plateaux Batéké, dans le sud-est du Gabon, s’étendent quatre hectares de vignes. Faire pousser des vignes sous le soleil gabonais : c’est le défi « complètement fou » lancé en 2005 par le président Omar Bongo Ondimba. Dix ans après sa mort, son « grand cru équatorial » essaye tant bien que mal de lui survivre.

« C’est très certainement un des pires endroits où faire pousser des vignes. Et pourtant, regardez : c’est bien du raisin qui pousse ! », s’émerveille Cédric Pabou, exploitant français du domaine d’Assiami depuis 2017. Sous 28 °C, un ouvrier agricole, Forty Ngambeke, vendange les dernières grappes de carignan de la récolte. Sécateur à la main, avec sept autres employés du domaine, il s’active : « Il faut tout ramasser aujourd’hui, sinon la récolte sera foutue, les insectes risquent de tout dévorer. »

« On est obligé d’irriguer »

Avec des températures jamais inférieures à 24 °C, un taux d’humidité dans l’air d’environ 90 % et une terre constituée à 98 % de sable, faire pousser du raisin au Gabon n’est pas une mince affaire, explique M. Pabou : « Il n’y a pas d’hiver ici, une saison vitale pour que la vigne se repose et puisse produire à nouveau du raisin. » En saison sèche, il peut ne pas tomber une seule goutte de pluie durant trois mois. « Alors on est obligé d’irriguer la vigne. » Une digue a été creusée dans la luxuriante forêt jouxtant le vignoble pour arroser les raisins au goutte-à-goutte.

Et lorsque les grains arrivent enfin à maturité, d’autres menaces apparaissent. Chaque nuit, des employés se relaient, lampe torche à la main et fusil à l’épaule, pour éloigner singes, civettes et autres bêtes sauvages. « Nous faisons le maximum à la main. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être trop dépendants des machines. » Car si une pièce venait à faire défaut, il faut compter au moins un mois pour la faire venir de France, explique M. Pabou. Et ici, impossible de demander de l’aide à un voisin viticulteur : « Nous sommes le seul vignoble de toute l’Afrique centrale. »

Une fois les grappes ramassées, le processus de vinification peut commencer. En 2018, les huit employés du domaine ont récolté environ 900 kg de raisin et produit un peu plus d’un millier de bouteilles. Du rosé uniquement, vendu 21 000 francs CFA (32 euros) l’unité, sous l’appellation Malymas, dans deux boutiques à Libreville. Selon M. Pabou, « l’objectif n’est pas d’être rentable, mais de perpétuer un des derniers projets du père Bongo ».

Le projet n’a jamais été rentable

Ce projet est né en 2005 de la rencontre entre Omar Bongo et Dominique Auroy, un entrepreneur tahitien désireux de faire des affaires au Gabon, raconte un des employés du domaine, Ruphin Ndoua, qui y travaille depuis sa création. Sur une île de la Polynésie française, il a réussi l’exploit de faire pousser du raisin et s’en est servi comme carte de visite pour approcher les hautes sphères gabonaises, confie à l’AFP l’ancien exploitant français du domaine à cette époque, Olivier Crespy. Passionné par la politique française plus que par son patrimoine viticole, Omar Bongo, habitué des projets pharaoniques, se laisse séduire.

Ensemble, ils créent la société Viticulture du Haut-Ogooué (VHO) et investissent 9 millions d’euros, selon M. Crespy. Le président décide que les vignes pousseront sur une de ses terres, où reposent ses ancêtres maternels. Après trois ans de recherches pour déterminer les cépages susceptibles de pousser sur ce terrain, 35 hectares de vignes sont plantés en 2008. A ce moment, le domaine emploie jusqu’à 120 personnes. « Mais la mort du président Omar Bongo a marqué un coup d’arrêt », ajoute M. Crespy. Par manque de financement et de volonté, les surfaces cultivées passent à quatre hectares.

Depuis la création du domaine, pas moins de six exploitants se sont succédé, car « tous ont jeté l’éponge », confie un des employés du domaine, sous couvert d’anonymat. Certaines années, aucune production n’a été mise en bouteille. Et le projet n’a jamais été rentable. En 2015, l’entrepreneur tahitien finit par rendre son tablier. Aujourd’hui, Delta Synergie, la holding financière de la famille Bongo, est l’unique propriétaire de VHO. Mais Cédric Pabou, engagé en 2017, semble bien décidé à relancer le domaine, quitte à se diversifier. Son ambition : préserver les emplois des huit derniers salariés, « très attachés au domaine ». Peut-être plus encore que le défunt président, qui, emporté par un cancer, n’y a jamais mis les pieds.