Le premier ministre australien, Scott Morrison, à Canberra, le 19 mai. / STRINGER / REUTERS

Deux perquisitions en vingt-quatre heures amènent l’Australie à s’interroger sur la réalité de la liberté de sa presse et sur les pouvoirs attribués à ses forces de police. La première descente a eu lieu à Canberra, mardi 4 juin au matin, au domicile de la chef du service politique du Sunday Telegraph, Annika Smethurst, dont l’ordinateur et le téléphone portable ont été fouillés par les agents. Cette journaliste avait publié en avril 2018 un article détaillant un plan du gouvernement pour étendre les pouvoirs de l’agence chargée du renseignement et de la sécurité électronique, l’Australian Signals Directorate, à la surveillance des citoyens sans mandat d’un magistrat. Réglementation qui n’a jamais vu le jour.

Les enquêteurs se sont présentés avec un mandat portant sur la « publication d’informations classées secret officiel ». Le premier ministre conservateur, Scott Morrison, reconduit le 18 mai, a déclaré, mardi, qu’il croyait fermement à la liberté de la presse mais qu’il fallait respecter des règles strictes en matière de secret-défense. « Cela ne me choque jamais quand nos lois sont appliquées », a-t-il répondu à la presse.

La deuxième perquisition a eu lieu mercredi à Sydney, au siège du réseau de radio et télévision public, Australian Broadcasting Corporation, et porte sur la diffusion, en 2017, sur le site du groupe de médias, d’une enquête sur les opérations des forces spéciales australiennes en Afghanistan, qui s’est fondée sur la divulgation de documents classés. Deux journalistes y détaillaient une « insensibilité » et une « dérive des valeurs » des troupes, et révélaient des actes précis susceptibles de relever de crimes de guerre tels que l’exécution d’enfants et d’hommes non armés, sur lesquels des enquêtes internes avaient été ouvertes.

« Attaque contre le droit de savoir »

Les enquêteurs ont passé neuf heures au siège de la radio-télévision publique. La journée, soigneusement relatée sur Twitter par le directeur de l’information et de l’investigation d’ABC, John Lyons, a été marquée par de longs débats entre les policiers et les avocats du groupe sur les courriels que les enquêteurs pouvaient ouvrir – leur donnant ainsi un aperçu de milliers de messages internes – et les documents qu’ils pouvaient placer sur leurs clés USB. Celles-ci ont ensuite été placées dans des poches plastique scellées qui ne seront pas ouvertes pendant deux semaines, pour garantir le droit de recours du groupe de presse.

Cette soudaine soif de faire prévaloir le secret-défense sur la liberté d’informer inquiète dans un pays qui a une tradition de presse de qualité, mais aussi une jurisprudence drastique sur la sécurité nationale, la diffamation ou la présomption d’innocence. Elle a notamment justifié que les juges interdisent à la presse, pendant plusieurs mois, d’évoquer le sujet majeur qu’est la condamnation, en décembre 2018, pour viol sur mineur, du cardinal George Pell, alors numéro 3 du Vatican, pour ne pas influencer négativement les jurés dans un second procès le concernant. En mars, le procureur a convoqué 36 journalistes et organes de presse pour n’avoir pas respecté cette interdiction.

Le principal syndicat de journalistes, l’Alliance pour les médias, le divertissement et les arts, a dénoncé, mercredi, une « attaque contre le droit de savoir » visant à intimider journalistes et lanceurs d’alerte « qui révèlent ce que les gouvernements font en notre nom ».

Le ministre de l’intérieur, Peter Dutton, a soutenu n’avoir été informé de ces perquisitions qu’après qu’elles avaient débuté, à l’initiative de la police judiciaire. L’opposition voit dans ces procédures la preuve d’un trop-plein de confiance après la victoire aux législatives, en mai, de M. Morrison, que lui-même a qualifiée de « miracle » alors que les sondages donnaient le parti conservateur perdant depuis deux ans.