Gaëtane Thiney lors d’un entraînement avec l’équipe de France féminine à Clairefontaine (Yvelines), le 29 mai. / FRANCOIS MORI / AP

S’il est prématuré de juger de l’engouement que va susciter la huitième édition de la Coupe du monde féminine de football, qui se jouera du 7 juin au 7 juillet en France, ses organisateurs sont déjà rassurés par une chose : les stades seront pleins, la billetterie fonctionnant d’ores et déjà au-delà de leurs attentes.

Deux jours avant le match d’ouverture entre la France et la Corée du Sud, le taux de remplissage dépasse les 70 %, avec près de 940 000 billets vendus sur le 1,3 million proposé. En 2011, le Mondial en Allemagne avait attiré 845 711 spectateurs tandis qu’il y a quatre ans, au Canada, 1 353 506 visiteurs s’étaient rendus dans les stades, record à battre.

De quoi ravir le responsable du Comité local d’organisation : « Il y a encore un mois, on vendait entre 2 000 et 4 000 billets par semaine. Depuis quinze jours, ce rythme est devenu quotidien, avec même 6 300 billets vendus avant-hier [lundi], et 6 700 hier [mardi], confie Erwan Le Prévost. On reste prudent mais si on applique cette logique mathématique, on franchira le cap du million. Chaque jour amène de nouveaux spectateurs, des familles. C’est un bonheur que cette Coupe ait un vrai public familial et populaire. »

Neuf rencontres sur les 52 du tournoi se joueront à guichets fermés, dont le match d’ouverture, le quart de finale à Paris qui pourrait opposer les Bleues aux Américaines, les demi-finales et la finale à Lyon. Pour le deuxième match des Bleues, programmé le 12 juin à Nice, il restait, mercredi 5 juin, 7 000 billets sur 35 161. « Il s’agit du troisième plus grand stade du tournoi, et même avec pour le moment quasiment 30 000 spectateurs, on est déjà ravis », confie Erwan Le Prévost.

Les montants des droits TV ont explosé

Pour la première fois de leur courte histoire en Coupe du monde, les Bleues pourront non seulement profiter de l’avantage d’évoluer à domicile, mais surtout devant des gradins remplis. « Pour nous, c’est génial. Le partage avec le public, j’en parlais avec Blaise Matuidi [champion du monde 2018], je lui disais que ce que je leur envie le plus, c’est de rentrer tout le temps dans des stades pleins », s’est réjouie la meneuse de jeu des Tricolores Gaëtane Thiney.

Ce nouveau pouvoir d’attractivité du football au féminin se confirme au-delà des tribunes, au niveau médiatique et économique. En 1991, lors de la première Coupe du monde organisée en Chine, seuls les téléspectateurs locaux avaient pu suivre la compétition. Cette année, la FIFA espère franchir la barre du milliard de téléspectateurs répartis dans plus de 200 pays où la compétition sera retransmise en direct.

En France, les montants des droits TV ont explosé, profitant aussi de la tenue de la compétition à domicile. En 2015, W9 avait payé 850 000 euros pour les droits de diffusion. Pour l’édition 2019, TF1 a investi 10 millions d’euros. « Evidemment, si l’on prend comme référentiel le Mondial des hommes l’an passé [130 millions payés par TF1], ça peut paraître mineur. Mais pour le Mondial féminin, c’est clairement significatif d’une montée en puissance », explique Nicolas Scelles, économiste du sport à la Manchester Metropolitan university.

En février, la secrétaire générale de la FIFA, Fatma Samoura, s’était montrée offensive pour défendre le potentiel de la pratique féminine. « Sur la manne financière que représentent les droits télévisés dans le football mondial, seulement 1 % revient au football féminin. C’est inacceptable », avait asséné la Sénégalaise. « Je n’ai qu’un regret, c’est que les dirigeants hommes ne se rendent pas compte de cette manne qui est devant eux et qui ne demande qu’à être exploitée. »

« Un cercle vertueux peut se mettre en place »

Longtemps sceptique quant au développement de la pratique féminine, la FIFA commence à en saisir l’importance stratégique. Premier effet concret, les primes prévues pour les sélections participant au Mondial ont doublé, avec une enveloppe globale de 26,6 millions d’euros, dont 3,5 millions d’euros pour les futures championnes. Encore loin, cependant, des 32 millions d’euros (sur 354 millions d’euros) reçus l’an passé par les Bleus de Didier Deschamps pour leur titre de champion du monde.

A l’image de la France, qui a gagné environ 100 000 licenciées en huit ans, le réservoir de futures footballeuses est énorme, notamment en Amérique du Sud ou en Afrique.

« Un cercle vertueux peut se mettre en place : plus de pratiquantes, meilleure qualité du spectacle, plus de monde dans les stades et devant la télé… La croissance peut être durable pendant des années. Le potentiel est énorme, d’autant que la progression a été freinée pendant cinquante ans à cause des interdictions entre 1920 et 1970 », prédit Nicolas Scelles.

Les annonceurs ne s’y trompent pas. « Les marques se positionnent sur un produit à fort potentiel et avec un ticket d’entrée relativement faible », explique Loic Ravenel, économiste au Centre international d’études du sport à Neuchâtel (Suisse). « Elles utilisent l’idée d’un football des origines, où les joueuses ne gagnent pas les millions des footballeurs, pour valoriser ce produit. »

A quelques jours du Mondial, le clip publicitaire d’un célèbre équipementier a été remarqué. Y défilent quelques-unes des meilleures joueuses du monde, sur le terrain, fêtant une victoire, ou entraînant les garçons du FC Barcelone. Et puis subrepticement, une autre vedette fait une apparition, le Brésilien Neymar Jr, dans son canapé, marquant des buts virtuels dans la version féminine d’un jeu vidéo de foot. Comme une étrange vision d’avenir ?