Siège de la SNCF à Saint-Denis, près de Paris, le 15 juillet 2015. / MARTIN BUREAU / AFP

C’est une affaire qui assombrit la fin de mandat de Guillaume Pepy, le président de la SNCF. Mardi 4 juin, le siège de la SNCF et d’autres sites du groupe, notamment à Lyon, ont été perquisitionnés dans le cadre d’une enquête préliminaire sur des irrégularités au sein de Stelsia, l’une de ses filiales, liée au groupe d’informatique IBM. « Une procédure normale dans le cadre d’une enquête ouverte en 2017 par le parquet national financier », minimise la société publique.

Cette affaire hante la SNCF depuis plus de dix ans. Fin 2008, Geodis reprend la filiale logistique interne d’IBM, soit un contrat annuel de 1 milliard d’euros. Quelques mois plus tard, Denis Breteau, acheteur pour le compte de la compagnie ferroviaire à Lyon, alerte sa hiérarchie sur des irrégularités dans la passation de commandes d’ordinateurs et de services auprès d’IBM.

Les commandes seraient passées sans mise en concurrence, en jouant sur la notion de plafond légal (1,5 million d’euros) se plaint-il auprès de sa hiérarchie. Le 27 février 2009, une commande auprès d’IBM pour 8,5 millions d’euros de logiciels est par exemple saucissonnée en huit lots, allant de 320 679 euros à 1 499 634 euros. Cette pratique du « saucissonnage » est illégale.

En 2012, la SNCF décide de créer Stelsia, une filiale codétenue dans un premier temps avec IBM, afin de gérer les prestations informatiques. Les syndicats sont vent debout contre cette initiative, qui menace de nombreux emplois internes. La direction reprendra l’ensemble du capital de la société, mais elle passera tout de même des commandes à IBM.

Lanceur d’alerte

A cette époque, M. Breteau rend publics ses doutes. « Stelsia était une société écran pour détourner les règles européennes de marché public », confiait-il en mars 2019 dans le mensuel Ville, rail et transports. L’acheteur porte alors plainte en 2013 auprès du parquet de Lyon, qui le déboute, car ce dernier juge qu’il n’a pas d’intérêt à agir.

La SNCF se défend de toute irrégularité en citant les contrôles internes et externes, notamment de Bercy. Il faudra que M. Breteau en appelle à la Commission européenne pour être entendu sur le rôle opaque de Stelsia. En 2015, Bruxelles demande à la SNCF de cesser d’utiliser cette filiale pour passer ses commandes, ce qu’elle fera finalement en 2017. « Il y avait une divergence d’interprétation juridique sur le rôle de notre filiale avec la Commission européenne », se contente de dire aujourd’hui la SNCF.

En tout cas, le lanceur d’alerte, soutenu en interne notamment par le syndicat SUD-Rail, ne baisse pas les bras et dépose de nouvelles plaintes à Lyon, puis auprès du Parquet national financier, qui a, lui, décidé d’enquêter. « A aucun moment M. Breteau n’a apporté le début de preuves sur les malversations dénoncées », dit-on à la SNCF. « J’ai transmis les pièces apportant les preuves de mes allégations », assure pour sa part M. Breteau.

C’est désormais à la justice de trancher sur le fond de l’affaire. En attendant, M. Breteau a été licencié par la compagnie nationale fin 2018. « Il a refusé quatre propositions de reclassement », justifie la SNCF. Une ligne de défense qui n’a pas convaincu le tribunal des prud’hommes de Lyon. Il l’a condamnée à réintégrer M. Breteau. Pour le tribunal, M. Breteau est un lanceur d’alerte.

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