Du samedi 8 au lundi 10 juin, l’Afrique débarque à Saint-Malo. Rien d’original à cette venue, puisqu’à chaque édition des Etonnants Voyageurs, des écrivains du continent viennent partager leur vision du monde, échanger, discuter. Pour cette version 2019 (la 30e), ils seront une vingtaine, avec notamment une nouvelle génération de magiciens des mots qui communiquera au lecteur hexagonal un peu de l’énergie des pays du Sud.

Directeur de la maison d’édition L’Harmattan-Guinée et de la librairie du même nom, Sansy Kaba Diakité est une de ces nouvelles voix du livre africain. C’est auréolé de ce qu’il a construit en Guinée, où il est à l’origine des « 72 heures du livre » et de l’opération « Conakry capitale mondiale du livre 2017 » patronnée par l’Unesco, qu’il débarquera dans la ville des corsaires. Sa présence aux côtés de sept écrivains du continent actera l’émergence de cette « nouvelle vague ».

A travers ces auteurs, le lecteur français aura un accès direct à « une littérature en plein renouvellement », selon Michel Le Bris, le créateur du festival breton : « Je dirais même qu’avec eux, on passe à la troisième génération d’après les indépendances, et je suis ravi que tous ces jeunes soient là parce que le lecteur, en France, ne les connaît pas encore très bien. Ils nous apportent une perspective très neuve, un rapport au monde différent de leurs aînés, parce qu’ils sont un peu sortis de la stricte africanité pour s’ouvrir plus que la génération d’avant aux apports du monde extérieur. » Une littérature africaine à l’heure de la mondialisation, donc.

Le choix d’être édité sur place

La Camerounaise Djaïli Amadou Amal est une des figures de ce nouveau paysage. Récemment récompensée du prix Orange du livre en Afrique pour les trois destins des femmes qu’elle raconte dans Munyal, les larmes de la patience (éd. Proximité), elle reste encore peu connue en France parce qu’elle a fait le choix d’être éditée sur son continent – une condition pour postuler à ce prix dont c’était la première édition et dont les cinq autres finalistes seront également présents au festival.

Ce choix éminemment politique des écrivains raconte déjà un peu leur rapport nouveau à l’africanité et au reste du monde dont parle Michel Le Bris. Il est aussi celui du Sénégalais Khalil Diallo, qui explore les tréfonds des ressorts humains dans A l’orée du trépas (L’Harmattan Sénégal), ou celui du Marocain Youssouf Amine Elalamy, qui, dans Même pas mort (éd. Le Fennec), creuse la question du deuil. Tous entendent rayonner le plus largement, certes, mais depuis leur pays. Et ce positionnement assez nouveau signe l’arrivée d’une nouvelle Afrique.

A Saint-Malo, le continent sera aussi présent par la danse, montrée au cinéma. Le documentaire L’Appel à la danse au Sénégal, de Diane Fardoun, se veut aussi une illustration de ce continent en mouvement. La réalisatrice prône l’identité parce qu’une « identité assumée travaillant sur sa spécificité touchera universellement, c’est en quelque sorte notre doctrine », dit-elle au Monde Afrique, ravie de pouvoir croiser la route des festivaliers.

« Une grande famille mondiale »

Michel Le Bris a du recul sur ces changements, car les Etonnants Voyageurs entretiennent avec l’Afrique une longue histoire. Pendant dix ans, de 2000 à 2010, le festival breton s’est même déployé au Mali. Résurgence de cette époque, une image hante encore l’écrivain :

« Celle de femmes, à Tombouctou, qui protestaient contre la montée d’un islam dur. Et alors qu’elles nous interrogeaient et nous demandaient d’entendre cette crainte, des officiels, y compris de l’ambassade de France, se rassuraient à bon compte, persuadés que la forte imprégnation du lieu par les animistes empêcherait l’intégrisme d’avancer. Aujourd’hui, c’est un crève-cœur de recevoir les lettres d’amis de cette zone où l’on ne peut plus rien organiser, où l’on ne peut plus aller. »

En dépit des regrets de ces années-là, il lui reste aussi de splendides découvertes et quelques éclats de voix qui résonnent encore à ses oreilles, comme celle du Togolais Kossi Efoui et de bien d’autres. « Parce que là-bas, ça gueulait de tous les côtés, ça s’engueulait tout le temps, et pourtant c’était un lieu de construction qui a contribué à faire prendre conscience à ces écrivains qu’ils faisaient partie d’une grande famille mondiale », se rappelle le créateur du festival.

« Apporter un autre regard »

Depuis, bien des marées ont effleuré les murailles de Saint-Malo. Et quand Michel Le Bris se retourne sur ce passé, il mesure aussi combien « le ton des débats a changé ». Alors que le communautarisme a, à ses yeux, gagné trop de terrain, il fallait aussi que son festival cause un peu de tout ça :

« On s’est dit, avec mes amis Felwine Sarr et Pascal Blanchard, qu’il fallait réagir et qu’à l’heure où des idéologues font entendre leur voix, la littérature peut apporter un autre regard, donner une autre tonalité. Parce que la littérature fait question de tout avec ses personnages aux regards différents, voire contradictoires sur le monde. »

Pendant que la brise marine aérera des débats qui pourraient être assez chauds (« Sexe, races et colonies » ou « Entre mémoire et histoire, une relation à construire »), la francophonie continuera aussi d’avancer un peu. Dany Laferrière, Erik Orsenna et Alain Borer observeront ces mots migrants, dans la droite ligne de l’édition 2018 du festival, qui avait accueilli au sein de sa programmation la première édition des Etats généraux du livre en français. Parce que si Saint-Malo est un peu le centre du monde l’espace d’un week-end, la France, elle, n’est plus qu’un lieu parmi d’autres de la francophonie.