Ashleigh Barty dispose d’un des meilleurs revers slicé du circuit. / KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Pour un retour, c’est un retour réussi. Vendredi 7 juin, opposée à l’Américaine Amanda Anisimova, Ashleigh Barty dispute, à Roland-Garros, la première demi-finale d’un tournoi Grand Chelem de sa carrière. Il n’y a pas si longtemps - un peu plus de trois ans - l’Australienne vivait pourtant encore loin du petit monde du tennis, elle qui jouait au… cricket !

La jeune femme de 23 ans n’est cependant pas une inconnue du circuit tennistique. Adolescente prodige, Ashleigh Barty avait remporté le tournoi de Wimbledon chez les juniors en 2011, à l’âge de 15 ans. Et elle avait embarqué à bord du train du professionnalisme sans tarder. Deux ans plus tard, elle disputait la finale du double (senior) du Grand Chelem londonien.

Mais en septembre 2014, elle a choisi de sauter en marche. Un besoin d’appuyer sur pause. Cette vie de joueuse professionnelle, celle qui faisait du tennis depuis l’âge de quatre ans ne l’avait pas vraiment choisie. Incapable d’apprécier le jeu, les voyages incessants et la charge de travail requise pour intégrer le plus haut niveau, « Ash » aspirait à « avoir du temps pour [elle] », « avoir la vie normale d’une adolescente. »

Exilée volontaire des courts, c’est alors qu’elle se prend de passion pour le cricket, et y montre des prédispositions. Au point de disputer quelques rencontres professionnelles avec une équipe de Brisbane. « J’étais une joueuse moyenne, a-t-elle précisé, en mars, dans le New York Times. Je suis bien meilleure au tennis. »

Joueuse d’échec sur un court

Après deux ans de break, l’appel de la balle jaune se fait pressant. Et la jeune femme, ressourcée, n’hésite pas. « On voit la vie différemment à 20 ans qu’à 16 ans, assure-t-elle à son retour. On comprend qu’il faut sacrifier des choses pour en récolter les fruits. » Elle redevient joueuse de tennis, mais cette fois, c’est elle qui l’a décidé.

Ashleigh Barty effectue son retour dans le classement WTA (des joueuses professionnelles) il y a pile trois ans. A la 623e position. « C’est incroyable, a souri la joueuse jeudi, assurée de figurer parmi les cinq meilleures joueuses du monde quand Roland-Garros aura pris fin. J’ai l’impression que c’était hier qu’on a sauté dans un avion pour venir ici et recommencer. Il s’est tellement passé de choses depuis. »

Une fois de retour, la progression de la jeune Australienne, d’origine aborigène du côté de son père, est fulgurante. Dès la fin 2017, elle remonte à la 17e place mondiale et remporte son premier titre en Malaisie. Trois autres suivront, dont celui du prestigieux tournoi de Miami en mars.

Sur le court, Ashleigh Barty est souvent à l’attaque. Loin d’être la joueuse la plus imposante physiquement du circuit - à 1,66 m sous la toise, c’est la plus petite du top 10 -, elle n’en finit plus de grimper grâce à un jeu détonnant et varié. Son revers slicé, l’un des meilleurs chez les dames, est létal, mais elle alterne ses coups disposant d’un arsenal fourni, elle aime dénicher et exploiter les failles dans le jeu adverse.

« C’est un peu comme un puzzle, ou un jeu d’échec, expliquait-elle après sa victoire en quarts contre Madison Keys. Mes coachs m’ont appris le plus de coups possible, et c’est à moi de prendre les bonnes décisions. Et j’aime vraiment faire tout mon possible pour battre la fille de l’autre côté du filet. » Ce qu’a résumé son compatriote Pat Cash, désormais consultant pour Eurosports : « Ce n’est peut-être pas la joueuse la plus puissante, mais personne n’est plus intelligent sur le court qu’Ash Barty ».

Adoubée par Rod Laver

Ces aptitudes, notamment au filet, sont consolidées par la pratique du double au plus haut niveau. En août 2018, elle a remporté, avec l’Américaine Coco Vandeweghe, l’US Open face à la paire Babos-Mladenovic (elle retrouvera la Française en finale de la Fed Cup en novembre). Son premier trophée du Grand Chelem - elle a perdu des finales dans chacun des autres.

Evoluant désormais au côté de la Biélorusse Victoria Azarenka (ancienne numéro 1 mondiale en simple), Barty a remporté le tournoi de Rome, une semaine avant Roland-Garros. Et en conférence de presse, la jeune Australienne s’efface sans peine derrière sa partenaire, lui laissant prendre la lumière.

Seule tête de série encore en lice, Ashleigh Barty s’avance en favorite - si ce terme signifie encore quelque chose dans un tableau féminin décapité. Jeudi, la tenante du titre, la Roumaine Simona Halep, éliminée par Anisimova, a fait de l’Australienne la candidate la plus à même de lui succéder : « Elle est très talentueuse, sent la balle et a bien joué lors des tournois précédents sur terre battue. Rien ne me surprend plus au tennis, mais je pense qu’elle a le jeu pour gagner le tournoi. »

Néophyte à ce stade - au même titre que les trois autres demi-finalistes - Barty refuse l’étiquette. « Je pénètre dans un nouveau territoire », insiste-t-elle. En cas de victoire, elle sera la première Australienne titrée à Roland-Garros depuis Margaret Court, quintuple vainqueure des Internationaux de France.

« Ce qu’elle est en train d’accomplir est incroyable, l’a adoubé son compatriote, l’immense Rod Laver. Il y a quelques années, c’était surtout une bonne joueuse de double. Mais quelque chose s’est passé. Elle sait maintenant comment gagner des matchs. »

Désormais en demi-finales de Roland-Garros, la joueuse refuse de s’étendre sur sa période de joueuse de cricket. « J’ai déjà tout raconté sur le sujet, répète-t-elle. Mais c’était clairement une bonne idée de revenir jouer au tennis. La décision m’a semblé naturelle, et de toute évidence, c’était la bonne ! »