Le septuor de K-pop BTS à la fin de son concert au Stade de France, à Saint-Denis, le 7 juin 2019. / Simon Auffret / Le Monde

« Peu importe ce que tu écris sur cette soirée, nous regarderons tout. Nous sommes passionnés, organisés, et nous prenons tout à cœur. Si tu dois être critique, sois critique, mais évite seulement de nous décrire comme des groupies, parce que ce n’est pas ce que nous sommes. » Le concert n’est même pas commencé qu’à l’entrée du Stade de France, le ton est donné par Aleksandra, 24 ans : la venue à Paris du groupe de musique BTS, vendredi 7 et samedi 8 juin, n’est pas à prendre à la légère. La « BTS ARMY », surnom donné aux fans des sept garçons les plus populaires de Corée du Sud, non plus.

Les BTS (acronyme de Bangtan Sonyeondan, littéralement les « Boy-scouts pare-balles ») font partie des plus grandes stars de la K-pop, concept musical plus que genre en soi, initié en Corée du Sud avec le groupe Seo Taiji & Boys dès 1992. En remplissant pour la première fois le Stade de France après deux concerts à guichets fermés dans l’O2 Arena de Londres, le groupe a passé, vendredi, une nouvelle étape dans la diffusion de leur musique à travers le monde. Ils étaient déjà devenus, en 2018, le premier groupe de K-pop à se placer en tête du Billboard, le prestigieux classement des 200 meilleures ventes d’albums aux Etats-Unis.

Canon de l’efficacité commerciale

Face à des dizaines de milliers de spectateurs (pour une grande majorité de jeunes adolescentes), le septuor tente d’atteindre en deux heures de concert une performance totale : pyrotechnie, chorégraphies survitaminées avec un groupe d’une vingtaine de danseurs, interactions avec des animations projetées sur les deux écrans géants du Stade de France. Une exubérance à l’image de leur musique, canon de l’efficacité commerciale : les genres sont mélangés – hip-hop, pop, rock, EDM (Electronic dance music), trap, folk, rap –, souvent au sein du même morceau, les compétences complémentaires (quatre chanteurs et trois rappeurs constituent le groupe), et les langues (coréen, anglais, espagnol) se superposent.

Savamment orchestrés, les quelques entractes sont comblés par de courtes vidéos mettant en scène les chanteurs, au grand plaisir d’un public qui ne cesse jamais vraiment, minutes après minute, d’acclamer ses idoles. Souvent rattachés à l’archétype très lisse du « boys band », les BTS détonnent, pourtant, par leurs engagements pour des causes morales (le harcèlement scolaire, la défense des droits LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans)) et pour le soin qu’ils apportent dans leur relation avec leur « Army » : « l’Army n’est pas une communauté, c’est une famille », précise Aleksandra. « Ils nous touchent parce que l’on peut s’identifier très facilement à ce qu’ils disent et ce qu’ils font, soutient la jeune femme, venue depuis l’Autriche pour assister au concert. Leur sincérité brille à travers leur travail, d’abord par leur musique puis par leurs paroles. »

« Ils ne nous donnent que de l’amour »

Sur scène, Jin, J-Hope, Suga, RM, Jimin, V et Jungkook se présentent chacun leur tour, dans un français balbutiant qui déclenche de longs cris de joie à chaque rang du Stade de France. Plusieurs milliers d’« Army bombs » – bâton connecté surmonté d’une boule lumineuse –, sont secoués en rythme et font partie intégrante de la scénographie. « J’en ai acheté une à mon fils à l’entrée du stade, pour 50 €, commente un père de famille venu de Strasbourg, plutôt amusé de l’ambiance en tribune. Alors quand je vois le nombre de boules… »

Plus que par son unité artistique, la K-pop se distingue bien par son modèle industriel, standardisé et encouragé par le gouvernement sud-coréen, depuis la fin des années 1990, pour exporter ses productions culturelles en dehors des frontières du pays. Chaque membre des BTS a été strictement sélectionné, puis formé, pour développer une personnalité spécifique au sein du groupe, dès sa formation en 2013. Leur style physique et vestimentaire sur scène, décontracté mais savamment élaboré, est tout aussi perfectionné que l’esthétique très soignée des clips qui accompagnent chacun de leur morceau.

Fakrhiya, 19 ans, et Marie, 20 ans, sont autant conquises par le spectacle sur scène – « ils ne nous donnent que de l’amour » – que de l’ambiance en tribune : « on est noirs, blancs, asiatiques, jeunes, vieux, et l’ambiance est bon enfant, c’est vraiment bien organisé. » Venues spécialement de Marseille pour les deux soirs de concert, les deux colocataires apprécient depuis plusieurs années les messages passés par le groupe : « Leur discours de réflexion sur soi, connais-toi toi-même, est vraiment important. Même si on ne comprend pas souvent les paroles, on sait ce qu’ils veulent nous dire. »

Au moment des adieux, l’un des chanteurs de BTS délaisse Socrate pour citer Claude Monet, « son peintre préféré, qui lui a fait aimer Paris. » Puis le silence retombe, soudainement, lorsque le leader du groupe, RM, sous-entend qu’il s’agit « de leur dernière tournée » – de nombreuses rumeurs circulent sur leur obligation de délaisser la scène pour effectuer leur service militaire. Mais le Stade de France s’enflamme de nouveau lorsqu’il termine son discours en clamant en Français : « Nous reviendrons ! ». Pour les dizaines de milliers de spectateurs, pour certains en larmes, l’annonce semble alors être la seule chose qui compte.