Lors d’une manifestation à Alger, vendredi 7 juin. / RYAD KRAMDI / AFP

Editorial du « Monde ». Depuis près de quatre mois, l’Algérie est en suspens. Suspendue à un vaste et profond mouvement de contestation populaire qui a commencé samedi 16 février avec une première manifestation spontanée contre un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, et qui se répète depuis lors chaque vendredi, pacifiquement, de manière inédite. Suspendue à un régime autoritaire, maintenant contrôlé par les militaires, au pouvoir depuis l’indépendance, et qui refuse de lâcher prise après avoir fait quelques concessions, dont celle de la démission de M. Bouteflika. Suspendue à une économie qui, du coup, tourne au ralenti.

La situation politique est dans une impasse totale. Dimanche 2 juin, le Conseil constitutionnel a décidé de reporter l’élection présidentielle prévue le 4 juillet, faute de candidats : seuls deux inconnus avaient en effet osé braver le rejet de ce scrutin par les manifestants, qui contestent les conditions dans lesquelles il est organisé. C’est la deuxième fois en trois mois que l’élection présidentielle est annulée, après l’annulation de celle du 18 avril par la présidence Bouteflika, qui cherchait alors à gagner du temps.

Aucune date n’a été fixée pour une nouvelle élection, alors que le mandat du président par intérim nommé après la démission de M. Bouteflika, Abdelkader Bensalah, prend fin officiellement le 9 juillet. S’affranchissant ouvertement de l’ordre juridique, le Conseil constitutionnel vient de prolonger son mandat pour une durée indéterminée, ce qui fera basculer le système politique dans l’inconnu.

Aucun signe d’ouverture

La réalité du pouvoir est, pour l’instant, entre les mains du chef d’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah, 79 ans, pilier du régime depuis vingt ans. Surpris, comme les autres, par l’ampleur de la contestation, il ne donne aucun signe d’ouverture, n’ayant visiblement pas de plan de sortie de crise après avoir misé à tort sur l’essoufflement du mouvement. Il semble surtout préoccupé par la volonté de se maintenir au pouvoir, à la faveur de règlements de comptes internes aux divers clans du régime, qui se sont traduits par plusieurs arrestations dans les rangs de la nomenklatura.

Les Algériens, eux, et en particulier la jeunesse, font preuve d’une admirable détermination. Vendredi encore, ils sont sortis dans les rues, à travers tout le pays, avec cette revendication unanime à l’égard des hommes au pouvoir : « Dégagez ! » La volonté d’un changement de système, et pas seulement d’hommes, est clairement exprimée, semaine après semaine. Elle a été renforcée par la mort en prison, le 28 mai, d’un militant des droits de l’homme en grève de la faim depuis son arrestation le 31 mars, Kamel Eddine Fekhar.

Le président par intérim Bensalah a appelé jeudi à un dialogue entre « la classe politique » et « la société civile ». La première, cependant, est totalement discréditée et la deuxième n’a pas encore réussi à se trouver de leaders susceptibles de la représenter. C’est pourtant par là que doit commencer l’indispensable transition politique algérienne.

Pour que ce dialogue ait une chance de s’ouvrir, le général Gaïd Salah doit donner à la rue des gages de transparence et de la sincérité du pouvoir à respecter le processus d’une transition démocratiquement organisée. C’est la seule issue responsable pour l’Algérie, alors que les images du Soudan et de la sanglante répression du mouvement populaire qui a conduit à la démission du président Omar Al-Bachir étaient présentes, vendredi, dans les esprits des manifestants.