Sous le chapiteau du café littéraire du festival Etonnants voyageurs à Saint-Malo, le 9 juin 2019. / Maryline Baumard / Le Monde

On pourrait le rebaptiser le « train du livre ». Le TER Breizh 08 de 17 h 23, qui rallie Saint-Malo à Rennes dimanche 9 juin au soir, compte moins de valises que de sacs en plastique ou papier kraft au nom de maisons d’édition. Dans les filets au-dessus des sièges ou sur les genoux, Acte Sud, Gallimard, Le Seuil ou Albin Michel donnent le ton, tranchant avec les habituels shoppings du week-end.

A peine les premières vaches commencent-elles à défiler de l’autre côté des vitres que déjà, les plus pressés en sont aux rituels : humer le parfum du papier et de l’encre, décoller l’étiquette du prix, tordre un peu la tranche de l’ouvrage pour autoriser ensuite une ouverture plus large et plus fluide. Précis et mesuré, le geste permettra aux pages de rester accrochées et aux mots, eux, de ne pas coincer dans la pliure. Des groupes de copines se montrent leurs achats respectifs alors que les plus solitaires sont déjà le nez dans leur roman, en partance pour un ailleurs.

« Les auteurs sont adorables et pas guindés du tout »

Les passagers du 17 h 23 de dimanche ne profiteront pas du dernier jour des Etonnants Voyageurs, ce festival du livre qui se déroule chaque année, pendant le week-end de Pentecôte, dans la ville de Saint-Malo. Mais en littérature, un week-end réussi ne se compte pas en heures de présence, plutôt en moments d’exception. « Ici on est un peu hors du temps. On écoute, on s’imprègne, on entend les gens qu’on admire et on digère ensuite doucement ce qui est dit. Pendant longtemps parfois », observe Martine, une enseignante venue de Normandie. Professeure de français, elle est « étonnante voyageuse » tous les deux ans avec deux copines, qui sont elles aussi « éduc nat » et travaillent dans le même collège. « Très grosses lectrices », comme elles se définissent, elles « adorent ce rendez-vous où les auteurs sont abordables et pas guindés du tout ».

C’est vrai qu’à Saint-Malo, l’humour et la décontraction sont de mise malgré la profondeur des sujets abordés. L’académicien Erik Orsenna arrive à un débat sur la culture et le développement une casquette Sénégal vissée sur le crâne, et le samedi soir improvise un hommage à Michel Serres dont les derniers mots flottent, encore longtemps après, sous le chapiteau de bois.

L’historien Pascal Blanchard se transforme, lui, en animateur du débat « sexe, race et colonies » dont il était censé être intervenant, en attendant que le modérateur n’arrive. « Ici, même les plus grands sont à notre écoute. On pouvait même prendre un petit-déjeuner avec son auteur préféré. Pas comme au Salon du livre de Paris où tu viens acheter et c’est tout », tranche Claire, qui ne sait pourtant plus très bien depuis quand elle n’y est pas allée, mais sait qu’elle n’y retournera plus.

La vieille ville de Saint-Malo. / DAMIEN MEYER / AFP

« Le contraire de l’arrogance parisienne »

Ce match entre la province et la capitale est récurrent à Saint-Malo. « Ici on a les idées, les débats, les arguments, mais sans le snobisme », insiste un bibliothécaire qui se presse à l’après-midi sur l’Algérie actuelle avec le romancier Adlène Meddi, notamment, après avoir rencontré le romancier Laurent Gaudé le matin, un de ses auteurs préférés. « Il y a 250 invités, 300 rendez-vous. J’ai pu entendre l’historienne Mona Ozouf. Elle a répondu aux questions de la salle avec une si grande gentillesse. C’est vraiment un cadeau qu’on nous fait ici. Un festival intellectuel de haute tenue en short et baskets », ajoute-t-il, vêtu de son jeans et d’un ciré jaune.

Le cinéaste Romain Goupil apprécie lui aussi cette ambiance conviviale et estime que ce qui fait l’identité du lieu, c’est ce mélange « de curiosité, d’attention, de gentillesse et de discrétion ». « Le contraire de l’arrogance parisienne », résume-t-il au passage. Et ce partisan de l’hospitalité de louer justement « cette hospitalité chaleureuse qui doublée du ciel, de la mer, des bateaux et des huîtres permet de réfléchir large ». Tout est dit !

Parmi les festivaliers fans de ces trois jours lancés par Michel Le Bris il y a trente ans, les enseignants semblent très nombreux, à en croire les conversations sur les examens, la menace de boycott du bac, les questions posées aux auteurs et les petits cahiers à lignes sur lesquels ces éternels écoliers ne peuvent s’empêcher de prendre des notes. « On ne se refait pas », lance à ce propos une prof d’histoire en dépliant son sandwich soigneusement empaqueté dans un papier aluminium. Assise avec son mari et un couple d’amis au bord du bassin pour la pose déjeuner, elle est venue d’une petite ville entre Rennes et Saint-Malo et a apporté le repas.

Si le week-end est un avant-goût de la saison estivale pour les commerces du lieu, le pique-nique sur la plage ou face au port signe aussi une catégorie de consommateurs de culture qui préfère acheter un livre de plus plutôt que s’installer au restaurant. « Nous n’avons jamais fait d’enquête sur la fréquentation du festival, observe un des organisateurs. Nos informations s’arrêtent au comptage de 20 000 festivaliers quotidiens et à leur origine géographique majoritairement du grand Ouest », explique le directeur de la communication du festival, Laurent Delarue.

Quels qu’ils soient, tous repartent nourris de leur littérature : science-fiction, histoire, roman sur la nature ou littératures venus d’ailleurs, il y en avait pour tous les lecteurs.