2090 : le thermomètre n’en finit plus de monter. Les vagues de chaleur sont désormais le quotidien d’un tiers des citadins du continent africain. Un peu partout, le seuil des 40,6 °C est franchi, ce cap « au-dessus duquel on estime qu’il y a vraiment un danger critique pour les personnes », pose Guillaume Rohat, doctorant en sciences de l’environnement à l’Université de Genève (Unige). Ce scénario, qui s’apparente à de la science-fiction, n’est pas écrit pour un film, mais dans un très sérieux rapport scientifique, fruit d’une année de travail d’une équipe internationale et publié le 5 juin. Quatre chercheurs de l’Unige, de Twente Universiteit aux Pays-Bas et du Centre commun de recherche de l’Union européenne d’Ispra, en Italie, viennent d’établir douze scénarios de l’évolution du changement climatique et du développement socio-économique en analysant les données de 173 villes de plus de 300 000 habitants dans 43 pays d’Afrique.

Guillaume Rohat a fait partie de cette aventure, qui s’est terminée fin 2018. Un travail inédit. « C’est la première fois qu’on croise des projections climatiques avec des projections de croissance démographique et d’urbanisation pour une étude », expose-t-il au Monde Afrique. En effet, la plupart des études actuelles s’intéressent au changement climatique sans intégrer les changements sociétaux. Or, en Afrique, « c’est une combinaison d’accroissement démographique, d’urbanisation et de changement climatique qui font un vrai cocktail explosif », insiste-t-il.

Les chercheurs ont ainsi croisé trois schémas de changement climatique avec cinq schémas socio-économiques pour les années 2030, 2060, et 2090, permettant de calculer le nombre de personnes exposées chaque jour à des températures supérieures à 40,6 °C sur une base annuelle dans 173 villes du continent : à l’horizon 2090, un Africain citadin sur trois sera soumis chaque jour à des températures avoisinant les 41 °C. « Malheureusement, on tend vers le pire des scénarios pour l’instant », déplore le doctorant de l’Université de Genève. D’un point de vue socio-économique, « des rivalités régionales et un développement des pays moins rapide qu’espéré liés à une croissance démographique qui explose ». Autant dire une catastrophe.

En débutant leur travail, les chercheurs étaient d’ailleurs loin d’imaginer de telles conclusions. « On ne pensait pas du tout que les émissions de CO2 pourraient augmenter de 5 000 % en 2090 par rapport à aujourd’hui. Il est d’ailleurs assez rare que des augmentations puissent être aussi fortes », rappelle le chercheur suisse.

Accords de Paris

Mais pas de catastrophisme avant l’heure, les dés ne sont pas encore jetés. L’Afrique peut encore voir le meilleur des scénarios se jouer à condition que les accords de Paris et les objectifs de développement durable de l’ONU soient respectés. Le nombre de personnes exposées aux vagues de chaleur extrême serait alors divisé par deux. Socio-économiquement parlant, cette projection serait caractérisée par une augmentation de la qualité de vie, une diminution des conflits régionaux, ou encore un accès plus important aux soins et à l’éducation. « Si on fait les choses pour atteindre ces objectifs, c’est ce qui peut réellement se passer », affirme le climatologue.

Des collègues du Centre national de recherche atmosphérique (NCAR) aux Etats-Unis, où Guillaume Rohat est actuellement chercheur invité, travaillent d’ailleurs avec les municipalités et les services de santé publique de quelques-unes des villes les plus concernées. « Ils conçoivent des mesures à mettre en place pour s’adapter et réduire les risques liés à une exposition aux vagues de chaleur », précise-t-il. Les acteurs locaux peuvent ainsi diminuer les températures en ville en multipliant les espaces verts, ou en mettant en place des programmes d’éducation sur la conduite à tenir en cas de chaleur extrême. « Beaucoup d’études ont montré que les personnes ne savent pas forcément qu’elles peuvent en mourir », soulève le chercheur en climatologie. Par ailleurs, limiter la croissance de la ville « serait la mesure ultime ». Il s’agirait de mieux guider le développement dans les zones où se croissent les bidonvilles et le logement informel, car « ce sont ces populations-là qui seront les plus vulnérables quand il y aura des vagues de chaleur ».

L’étude menée par l’équipe internationale de chercheurs sera intégrée dans le prochain rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Prévu pour fin 2021, le document comportera un chapitre régional spécifique sur l’Afrique. D’autres études alarmantes sont donc à prévoir. « En tant que scientifiques, on essaie de plus en plus de sortir de nos tours d’ivoire pour essayer de disséminer ces résultats, ajoute le doctorant en sciences de l’environnement. Mais il est possible que le changement vienne de la société civile, et non des chercheurs, qui sortent des études depuis quinze ans sans effet. »