Kylian Mbappé, samedi 8 juin lors du match contre la Turquie, à Konya (Turquie). / REUTERS/Umit Bektas

D’un joueur qui « affole les statistiques », on s’étonnera que ses statistiques fassent peur. Vingt-deux ballons perdus, record personnel et record du match Turquie-France, samedi 8 juin. Ce n’est jamais qu’un chiffre, mais il confirme l’impression laissée par le match de Kylian Mbappé – et le précédent contre la Bolivie. Même la note de 3 dont l’a affublé L’Équipe semble augmentée d’indulgence.

De l’indulgence, Kylian Mbappé n’en a jamais réclamé. « Je n’ai jamais toléré qu’on parle d’âge. Tu ne me parles pas d’âge, tu ne me parles que de foot et de niveau », déclarait-il en 2018 dans « Intérieur Sport » sur Canal+. De fait, sa précocité n’a fait que grossir l’admiration qu’il suscite. Pourtant, à ce stade d’un parcours qui défile à la vitesse de ses débordements, un peu d’indulgence ne serait pas de trop.

Des « responsabilités »

Un attaquant peut difficilement être tenu pour responsable d’une faillite collective comme celle de Konya, samedi soir. Tous les internationaux arrivent au bout d’une saison exténuante. La sienne aura été paradoxale et frustrante. Il a assommé les statistiques, mais ses ambitions ont plafonné en même temps que celles du PSG. Ses attitudes ont trahi sa frustration, qui a culminé avec son expulsion lors de la finale de la Coupe de France. Ses paroles n’ont pas tardé à suivre avec une déclaration qui a fait l’effet d’un défibrillateur sur la cérémonie des trophées de l’UNFP (Union nationale des footballeurs professionnels) – pourtant en état végétatif depuis près de deux heures.

« A Paris ou ailleurs », Mbappé veut des « responsabilités ». On a interprété que, plutôt qu’un départ, il réclame de la « liberté ». C’est-à-dire, sinon le poste d’avant-centre, du moins la latitude d’évoluer sans contrainte de zone ni de travail défensif. Et plus de « poids dans le vestiaire », soit un droit de regard tacite sur les choix sportifs.

En fait, l’attaquant parisien veut le statut et les privilèges politiques et sportifs que les joueurs hors norme obtiennent dans les grands clubs. Présomptueux, pour un joueur qui reçoit encore des trophées de « meilleur espoir » ? Non, si l’on croit en son intelligence de la situation. Mbappé sait comment l’on devient Messi ou Cristiano Ronaldo : avec des prétentions.

Attendu au tournant

Le statut qu’il revendique, c’est celui qui le mettra dans des conditions idéales. Il veut évoluer dans la meilleure équipe possible, celle qui pourra se mettre à son service. Il sait qu’il faut un immense ego pour devenir une star du football. Il a raison – à condition de justifier ses prétentions sur le terrain.

L’image de Mbappé a évolué, l’état de grâce s’est achevé. Ses paroles, qui suscitaient l’éloge de sa maturité, sont souvent prises, désormais, pour de l’arrogance. Les moues surjouées, les petites provocations, les mots et les gestes vaniteux agacent. La période est délicate et il est attendu au tournant. Or celui-ci n’est pas si facile à négocier. Mbappé et son entourage peuvent douter de leur choix du PSG et de sa gouvernance déficiente, pour accompagner sa progression. Cependant, celle-ci peut difficilement rester linéaire. Gérer les revers ou les ralentissements d’une carrière fait partie de l’apprentissage.

Car ce prodige de précocité n’a pas achevé sa formation. Un travail sur ses points faibles pour élargir sa palette semble un meilleur investissement qu’une spécialisation étroite ou une quête des statistiques. Il y est contraint : les défenseurs le lisent de mieux en mieux, ses lacunes sont plus apparentes et il semble avoir perdu de la vivacité en prenant de la masse musculaire.

Passe-droits et contreparties

Sa stratégie de conquête peut fonctionner à Paris, où Neymar Jr est fragilisé et Edinson Cavani marginalisé, tandis que l’entraîneur Thomas Tuchel n’est pas en position de force. En sélection, cet individualisme pose un problème sensiblement différent.

Il n’est pas exclu que Didier Deschamps-le-pragmatique remette en cause quelques-uns de ses principes pour satisfaire les aspirations de son phénomène. On imagine plutôt Deschamps-l’apôtre-du-groupe le rappeler à l’ordre : accorder des passe-droits est peu compatible avec l’idée du sacrifice de chacun au profit du collectif qui a prévalu (et vaincu) en Russie. Mais déjà, à l’époque de la Coupe du monde, le sélectionneur avait consenti des compromis à son égard, assigné son joueur à l’aile droite tout en le dispensant de défendre très assidûment. On n’est pas attaquant providentiel sans contreparties.

Reste à savoir ce que Deschamps et Tuchel seront prêts à sacrifier désormais, ce qu’ils pourront encore demander à l’attaquant et ce que ses coéquipiers voudront tolérer. La réponse à ces interrogations viendra avec le temps, même si Mbappé ne veut pas s’en donner.