L’Espagnol Rafael Nadal, après sa victoire contre l’Autrichien Dominic Thiem à Roland Garros, à Paris, le 9 juin. / KAI PFAFFENBACH / REUTERS

Que dire de plus quand, en quinze ans, toutes les pages ont déjà été noircies ? Dimanche 9 juin, Rafael Nadal a battu pour la deuxième année d’affilée l’Autrichien Dominic Thiem en finale (6-3, 5-7, 6-1, 6-1) et remporté son douzième Roland-Garros, à 33 ans. Le double du Suédois Björn Borg, longtemps détenteur d’un record qu’on pensait inatteignable. Son dix-huitième en Grand Chelem, à deux longueurs de Roger Federer.

Au bout du compte, c’est peut-être son « meilleur ennemi » qui résume le mieux les limites repoussées par l’Espagnol. « C’était impressionnant de revoir Rafa sur terre. Je ne sais pas si vous imaginez le niveau qu’il a atteint [sur la surface], c’est juste incroyable. Personne n’a un jeu qui se rapproche du sien. Je ne vois même pas avec qui je pourrais m’entraîner pour me préparer face à lui. C’est ce que je me disais pendant le match », disait le Suisse après avoir été terrassé par l’Espagnol une 6e fois sur la terre battue parisienne lors d’une demi-finale au goût vintage.

« Rafa s’est mis à me marcher dessus »

Dimanche, pourtant, on a trouvé son clone droitier pendant deux sets. Comme lui, Dominic Thiem retournait toutes les balles la rage chevillée au corps. Comme lui, l’Autrichien l’asphyxiait avec des parpaings de coups droits liftés. Comme lui, il alliait lourdeur et puissance. Les deux hommes livrèrent un début de finale époustouflant : pendant sept jeux et quarante-quatre minutes, Nadal a découvert ce que ça faisait de jouer contre Nadal.

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Mais le Majorquin trouva in extremis la brèche pour rafler la première manche. « On met 90 heures à remporter un point, ça va au-delà de la blague, sérieux », pestait l’Autrichien, le regard tourné vers son clan. Le n° 4 mondial avait des raisons d’être frustré : il jouait le tennis de sa vie et pourtant ça ne suffisait pas. L’an passé, il ne s’en serait sans doute pas remis. Mais il est reparti au combat : puisque ça ne payait pas en fond de court, il redoubla d’agressivité. Sa détermination finit par payer, il revint à un set partout (7-5).

Le maître des lieux venait d’être piqué dans son orgueil. « A partir de là, Rafa s’est mis à me marcher dessus », résuma sa victime. C’est là le rituel majorquin : sa proie sort la tête de l’eau, elle croit avoir mis la bête à genoux et immédiatement, l’Espagnol lui resaute à la gorge. Thiem ne pouvait tenir l’intensité qu’il avait déployée pendant deux sets : il implosa physiquement et mentalement – sans doute payait-il aussi sa débauche d’énergie pour battre Novak Djokovic en demi-finale, en cinq sets et deux jours. Un dernier retour trop long et l’Espagnol s’écroulait de tout son long (6-3, 5-7, 6-1, 6-1).

« Il s’est encore amélioré depuis l’an dernier »

L’Autrichien savait qu’il s’attaquait pour la deuxième année d’affilée à « l’un des plus grands défis de l’histoire du sport ». L’an dernier il n’avait pas existé, balayé 6-2, 6-3, 6-2. Cette fois, il a touché son rêve du doigt pendant un peu moins de deux heures. « Il s’est encore amélioré depuis l’an dernier, il a encore développé son jeu », ne put-il que constater.

Depuis le début de la saison, l’Espagnol joue un tennis ultra-agressif, économe en frappes. A celles et ceux, de moins en moins nombreux au fil des années, qui persistent à dire qu’il n’a « pas de main », Nadal a répondu ces jours-ci en mettant de formidables coups de poignets pour transpercer Federer au filet et déposer des bijoux d’amorties face à Thiem. L’adolescent en pantacourt qui galopait comme un taurillon joue aujourd’hui les pragmatiques. Face au Suisse et sur un court balayé par les rafales transformé en « bac à sable », il n’a pas cherché à jouer de longs échanges, il a joué pour gagner les points. Son coup droit est parfois un peu plus hésitant qu’à l’heure des premiers sacres, mais il s’est construit un revers croisé, faisant dire à certains qu’il possède désormais « deux coups droits ».

Spain's Rafael Nadal, right, holds the trophy as he celebrates his record 12th French Open tennis tournament title after winning his men's final match against Austria's Dominic Thiem, left, in four sets, 6-3, 5-7, 6-1, 6-1, at the Roland Garros stadium in Paris, Sunday, June 9, 2019. (AP Photo/Christophe Ena) / Christophe Ena / AP

L’Espagnol revient de loin. Une blessure au genou à Indian Wells, en mars, a gâché son début de saison sur terre. Nadal était miné comme rarement par le passé : « Mentalement j’étais au fond du trou à cause de toutes ces blessures à répétition », a-t-il raconté dimanche après sa victoire. A Monte-Carlo, il fut l’ombre de lui-même en demi-finale contre l’Italien Fabio Fognini, futur vainqueur du tournoi. Son « pire match sur terre battue en quatorze ans », dira-t-il. La semaine d’après, son premier tour à Barcelone fut un « désastre » malgré la victoire.

« Je ne suis pas éternel »

« Quand je suis rentré à l’hôtel ce jour-là, j’ai réfléchi à ce qui était en train de se passer. L’une des options était de faire une pause et de laisser mon corps au repos. L’autre était de changer drastiquement mon attitude et ma mentalité. » Il a choisi la deuxième. Demi-finale à Madrid, puis finale à Rome, le phénix majorquin a ressuscité juste à temps pour le rendez-vous parisien.

Comment s’est-il relevé ? « L’amour du jeu et de la compétition, racontait-il encore dimanche. Toutes les blessures par lesquelles je suis passé me donnent probablement ce petit supplément de passion, parce que je sais que je ne suis pas éternel. J’essaie juste de rester positif et investi. C’est ce qui m’a amené où j’en suis aujourd’hui ».

C’est-à-dire dans une autre dimension. Jamais de toute l’histoire du tennis, un joueur ou une joueuse n’avait compté autant de titres dans un même tournoi du Grand Chelem. Même si l’Espagnol joue la fausse modestie quand il s’agit de le reconnaître. « Je me considère comme une personne normale. Si je l’ai fait, je suis certain qu’un autre pourra le faire. »

Pas question donc pour lui de s’attarder sur les records : « Le jour où tu trouves ça incroyable, c’est le signe qu’il faut faire autre chose, disait-il vendredi après sa qualification pour la finale. Le tennis ne te donne pas le temps d’être heureux quand tu gagnes et triste quand tu perds : le circuit continue, tu as toujours un tournoi à jouer derrière. Quand j’arrêterai le tennis, je profiterai de mon temps libre pleinement, chaque jour. » Dimanche, l’Espagnol a encore une fois repoussé l’obsolescence programmée.