Titiev, lors de son audience de verdict dans un tribunal de la ville de Shali, en Tchétchénie, Russie, le 18 mars 2019. / SAID TSARNAYEV / REUTERS

La justice russe a décidé, lundi 10 juin, de relâcher en liberté conditionnelle Oïoub Titiev, responsable en Tchétchénie de l’ONG russe de défense des droits humains Memorial, condamné en mars à quatre ans de camp au terme d’un procès controversé, a annoncé, lundi son organisation.

M. Titiev, condamné pour détention de stupéfiants dans une affaire dénoncée par ses partisans comme montée de toutes pièces, doit désormais être remis en liberté dans les dix prochains jours, a annoncé un responsable de Memorial, Oleg Orlov. Selon M. Orlov, cette décision de la justice russe fait suite à une demande en ce sens de M. Titiev, 61 ans, et était « attendue de longue date ».

Le responsable en Tchétchénie de Memorial avait été arrêté en janvier 2018 après la découverte, selon la police, de drogue dans sa voiture. Une affaire fabriquée de toutes pièces, selon ses nombreux soutiens russes et internationaux. En octobre 2018, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe lui avait décerné le prix Vaclav Havel des droits de l’homme pour son « courageux combat ».

Dix-sept ans d’engagement

Pendant dix-sept ans, ce père de quatre enfants a enquêté, souvent au péril de sa vie, sur les nombreuses violations, tortures et disparitions forcées dans cette région du Caucase russe à majorité musulmane dirigée par l’implacable Ramzan Kadyrov. Son interpellation au volant de son véhicule, le 9 janvier 2018, à Kourtchaloï, une ville située à 42 kilomètres à l’est de Grozny, la capitale tchétchène, fut digne d’un scénario de série B. Les policiers n’avaient pas hésité à rejouer la scène, faute de témoins.

« Ce matin-là, ils m’attendaient à toutes les sorties de la ville », a raconté Oïoub Titiev lors de son procès, en accusant les forces de l’ordre d’avoir elles-mêmes placé un sachet de haschisch dans son véhicule. Puis un autre témoin douteux, un toxicomane « manipulé » selon la défense, est apparu, à charge. Memorial a recensé dix faits prouvant des irrégularités dans la procédure. Le tribunal de Chali, non loin de Grozny, a pourtant suivi les réquisitions du procureur, ne laissant aucune chance au responsable de Memorial, qui a déjà passé quatorze mois en détention préventive. Un homme pieux qui ne fume ni ne boit, selon le témoignage de ses proches.

Enquête sur les prisons secrètes

Pour beaucoup, ce procès ne visait qu’à punir le dernier représentant de Memorial et à neutraliser cette organisation bien connue en Russie dans le domaine des droits humains. Les déclarations de Ramzan Kadyrov leur donnent raison : « De tels défenseurs des droits de l’homme ne marcheront plus sur mon territoire », avait-il déclaré le 22 août 2018, lors d’une réunion avec les forces de sécurité, ajoutant : « Pour eux, la Tchétchénie est un territoire interdit comme il l’est pour les terroristes et les extrémistes. »

Au cours des mois qui ont précédé son arrestation, Oïoub Titiev rassemblait discrètement des informations sur les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires et les prisons secrètes gérées par les « Kadyrovtsy », les milices au service du pouvoir.

Sa condamnation avait notamment été dénoncée par les députés européens, l’organisation Amnesty International ou encore la Fédération internationale des droits de l’homme, qui a évoqué une affaire « injuste et absurde ». Les observateurs affirment que les fausses affaires de possession de drogue ne sont pas rares en Russie, et notamment en Tchétchénie pour faire taire des voix critiques. Samedi, la justice russe a assigné à résidence le journaliste russe Ivan Golounov, accusé de « trafic de drogue » dans une affaire que ses soutiens dénoncent comme, là aussi, montée de toutes pièces.