Ada Hegerberg lors de la finale de Ligue des champions OL-FC Barcelone, le 18 mai à Budapest (Hongrie). / AP/Balazs Czagany

Le 3 décembre 2018, Ada Hegerberg, 23 ans, devient la première femme de l’histoire à remporter un Ballon d’or. Depuis la tribune, l’attaquante lyonnaise, en robe mordorée, remercie ses coéquipières de l’Olympique lyonnais (OL), le président du club, Jean-Michel Aulas, son staff. Elle rend également hommage à son fiancé, le défenseur Thomas Rogne (Lech Poznan), et à sa famille, ses parents, sa sœur Andrine, milieu de terrain au PSG, et son frère Silas. Mais de la Norvège, son pays, pas un mot.

La rupture est consommée depuis plus d’un an. Le 29 août 2017, Ada Hegerberg a annoncé qu’elle faisait « une pause » avec l’équipe nationale. Un mois plus tôt, la Norvège, championne du monde en 1995, deux fois championne d’Europe (1987, 1993) et médaillée d’or aux Jeux Olympiques en 2000, s’est fait sortir dès le premier tour de l’Euro. Ada Hegerberg a elle-même « très mal joué », remarque le journaliste sportif Odd Inge Aas.

Après chaque nouvelle victoire avec son club, chaque record battu, le retour de la joueuse a été évoqué. Elle est restée inflexible, Coupe du monde ou pas. A Oslo, la fédération de football ne souhaite « plus commenter l’affaire ». Le sélectionneur de l’équipe, Martin Sjögren, se montre un peu plus disert : « Pour être dans l’équipe nationale, il faut être fier et avoir une motivation, comme les 23 joueuses qui seront présentes et ont décidé de contribuer à construire quelque chose plutôt que de partir », lâche le Suédois.

« Ego surdimensionné »

Un an et demi après le divorce, les relations restent mauvaises. A l’automne, les médias norvégiens ont révélé que Martin Sjögren n’avait pas sélectionné Ada Hegerberg parmi ses trois favorites pour le trophée de la meilleure joueuse FIFA 2018, décerné à la Brésilienne Marta. De leur côté, ses ex-coéquipières – qu’elle a bloquées sur Facebook et Instagram – ont exigé des excuses après une interview où elle a déclaré qu’elle avait toujours « le sentiment d’être une plus mauvaise joueuse en rentrant après les entraînements » en sélection nationale.

Alors diva ou star incomprise ? « Toutes les stars sont des divas, autrement ce ne seraient pas des stars », tranche Richard Jansen, directeur sportif du club de Stabaek, en banlieue d’Oslo. Il se souvient de leur rencontre en 2011. Ada Hegerberg avait 16 ans et évoluait depuis deux ans à Kolbotn, au sud de la capitale norvégienne. « Elle est entrée et elle a décrété qu’elle allait jouer pour nous », en rigole-t-il encore. La jeune fille reste une saison avant de partir pour Potsdam, puis de rejoindre Lyon. Elle joue alors en équipe nationale.

« Tout de suite, elle a pris des responsabilités, raconte Ingvild Stensland, l’ancienne capitaine de la sélection norvégienne. Une seule chose comptait : gagner. Elle était extrêmement exigeante, envers elle-même comme avec les autres. » Une ambition et une détermination louées quand l’équipe gagne. Mais mal supportées dans la défaite. « En Norvège, vous devez être au service de l’équipe, explique Ingvild Stensland. Dès que vous êtes un peu controversé, on dit que vous êtes arrogant et que vous avez un ego surdimensionné, même si Ada n’est pas comme ça. » C’est la fameuse « loi de Jante » scandinave, précise le journaliste Christian Nilssen : « Vous ne devez pas croire que vous êtes meilleur que les autres. »

Ada Hegerberg dénote, même si son comportement n’est guère différent de celui d’un Petter Northug, enfant terrible du ski de fond. Mais « elle est une femme », nuance l’ancienne milieu de terrain Solveig Gulbrandsen : « Une année, quand on a osé critiquer les erreurs d’arbitrage en Ligue, comme les garçons, on nous a reproché d’en faire étalage dans les médias. On aurait dû se taire. »

Après l’Euro raté de 2017, Ada Hegerberg a critiqué le manque d’engagement de la fédération chez les femmes. Le journaliste Christian Nilssen partage une partie de sa critique : « La Norvège a misé très tôt sur le football féminin, ce qui nous a donné une longueur d’avance. Mais nous avons longtemps vécu sur nos acquis. Quand les autres ont commencé à investir, nous avons perdu notre avantage. »

Parents ultra-présents

Si le football a du mal à attirer les sponsors, c’est encore plus compliqué pour les femmes, dont les matchs en championnat n’ont attiré que 246 spectateurs en moyenne en 2018. Résultat : « Même si on doublait mes ressources, je n’atteindrais pas le budget médical d’un club comme le VfL Wolfsburg en Allemagne », maugrée Richard Jansen. La plupart des joueuses doivent travailler en parallèle pour boucler leurs fins de mois. « Pour Ada, habituée à ce qui se fait mieux et qui joue avec les meilleures, ça a été un choc », constate Solveig Gulbrandsen. La mère de la joueuse lyonnaise, Gerd Stolsmo, témoigne : « Vous vous rendez compte, la fédération les a envoyées jouer l’Euro avec les chaussettes des hommes et un seul maillot officiel ! »

Un membre du club de Stabaek confie que « le sélectionneur a surtout fait une grossière erreur en mettant les deux sœurs dans la même chambre, avec une connexion directe aux parents ». Ces derniers, ultra-présents et controversés, assument : « Sans nous, nos filles ne seraient jamais arrivées là où elles sont », affirme la mère. Assis près d’elle, dans leur appartement de la banlieue d’Oslo, le père, Stein Erik Hegerberg, approuve. Ancien entraîneur, il analyse chaque match avec ses filles et travaille leurs « points faibles », quand elles rentrent en Norvège. Surtout Ada : « Elle est toujours meilleure en repartant. »

Le couple ne la voit pas revenir en équipe nationale. Ils accusent le sélectionneur d’avoir puni l’aînée, Andrine, non retenue pour la Coupe du monde. « Elle n’avait pas le niveau », réagit Martin Sjögren. En attendant, l’affaire semble avoir « soudé l’équipe », se félicite Christian Nilssen, qui souligne que « le groupe est toujours plus important qu’une seule joueuse ». Même si, reconnaît-il, cela ne peut pas faire de mal « d’avoir les meilleures dans l’équipe ».