Le président de Renault, Jean-Dominique Senard, et le PDG de Nissan, Hiroto Saikawa, à Yokohama (Japon), le 12 mars. / BEHROUZ MEHRI / AFP

La tension est montée d’un cran ce week-end ­entre Renault et Nissan, quelques jours après l’échec de la fusion entre la marque au losange et Fiat Chrysler Automobiles (FCA). Et ce, alors que le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, en déplacement à Fukuoka (Japon) dans le cadre du G20 finances, tentait d’apaiser la situation afin de préserver la première alliance automobile mondiale, Renault-Nissan-Mitsubishi.

Cette dernière fait face à une crise sévère qui pourrait aller jusqu’à menacer son existence. Dernier épisode de ces relations tumultueuses, l’envoi d’un courrier du président de Renault, Jean-Dominique Senard, au PDG de Nissan, Hiroto Saikawa.

Dans cette lettre datée du vendredi 7 juin, que Le Monde a pu consulter, M. Senard informe personnellement le patron du groupe japonais que Renault, en tant que premier actionnaire de Nissan, s’abstiendra lors du vote à l’assemblée générale de Nissan, le 25 juin, sur le changement de gouvernance instaurant un système à trois comités (des rémunérations, des nominations et de l’audit). Cette décision aura pour effet de bloquer la réforme, une majorité des deux tiers étant requise pour effectuer des changements de ce type.

« Après réflexion et analyse, nous sommes attentifs au fait que le système à trois comités ne soit pas utilisé comme un outil dirigé contre le principal actionnaire de Nissan, est-il expliqué dans la missive. (…) Nous croyons fermement que les droits de Renault en tant qu’actionnaire à 43,4 % de Nissan doivent être pleinement reconnus et qu’un minimum d’un ou deux administrateurs proposés par Renault devraient être membres de chacun des trois comités. Tel que c’est pour le moment proposé, cela ne semble pas être le cas. »

« Trahison »

C’est peu dire que Nissan a peu goûté la démarche. « Nissan juge extrêmement regrettable la nouvelle position de Renault sur ce sujet, car cela va à l’encontre des efforts de la société pour améliorer sa gouvernance », a fait savoir M. Saikawa dans un communiqué diffusé lundi 10 juin.

Du côté de Yokohama, où est établi le siège de Nissan, on trouve l’attitude de M. Senard incompréhensible, lui qui avait voté à deux reprises pour le système à trois comités. Et l’on craint que Renault, qui avait déjà fait nommer Thierry Bolloré, le directeur général de Renault, administrateur de Nissan, veuille imposer sa présence dans l’un des trois comités.

Depuis la mise en accusation, pour malversations financières, de l’ancien patron de l’Alliance, Carlos Ghosn, le 19 novembre 2018, les deux alliés sont à couteaux tirés

« Pour les hauts dirigeants de Nissan, c’est une trahison, observe un bon connaisseur de l’entreprise nippone. Cette refondation est le résultat d’un long travail du comité spécial pour l’amélioration de la gouvernance, mis en place après l’affaire Ghosn et approuvé par les représentants de Renault. Deux objectifs fondamentaux ont été définis pour tâcher de ne pas renouveler les erreurs qui ont conduit à la crise actuelle : éviter la concentration des pouvoirs et prévenir les conflits d’intérêts. Dans cette logique, les dirigeants opérationnels de Renault et de Nissan ne peuvent donc être membres d’aucun des trois comités, pas plus Thierry Bolloré qu’Hiroto Saikawa. »

Cet épisode envenime une situation déjà dégradée. Depuis la mise en accusation, pour malversations financières, de l’ancien patron de l’Alliance, Carlos Ghosn, le 19 novembre 2018, les deux alliés sont à couteaux tirés. La nomination de Jean-Dominique Senard comme président de Renault en janvier avait fait retomber la pression, mais une première tentative de Renault, en avril, d’accélérer un rapprochement entre le groupe au losange et son alter ego japonais avait crispé Yokohama.

La fusion, sujet de friction

Il y a eu ensuite la tentative de fusion entre le constructeur français et FCA. Les dirigeants nippons, qui avaient été mis à l’écart des négociations entre Français et Italiens avaient, en refusant de voter pour le « deal », provoqué le retrait abrupt de l’offre de FCA, jeudi 6 juin.

Au G20 finances, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, se serait bien passé de ce nouvel accrochage. Tout au long du week-end, il a insisté sur l’importance de « renforcer » l’Alliance et laissé entendre que la fusion, sujet de friction entre Renault et Nissan, qui ne veut pas en entendre parler, n’était pas l’unique solution. « Si la fusion ne paraît pas une bonne option, alors trouvons-en une autre », a-t-il lancé.

Le locataire de Bercy a même a déclaré au Figaro que l’Etat français pourrait réduire sa participation dans Renault – qui s’élève à 15 % – pour consolider l’alliance avec Nissan. Ce geste envers la partie nippone, toujours hostile à la présence de l’Etat français au capital de Renault, pourrait inciter Nissan à revoir sa position sur un rapprochement Renault-FCA.

Cette perspective n’a pas complètement disparu du paysage, les rumeurs ayant été ravivées par la présence au siège de Nissan, lundi 10 juin, de Toby Myerson, l’un des principaux négociateurs de FCA pour le projet avec Renault.

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