Le premier ministre, Edouard Philippe, lors de sa déclaration de politique générale à l'Assemblée nationale, à Paris, mercredi 12 juin 2019. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »

Editorial du « Monde ». Premier ministre depuis plus de deux ans, Edouard Philippe est passé maître dans l’art du « en même temps ». La déclaration de politique générale qu’il a prononcée mercredi 12 juin devant les députés pour se redonner de l’air après le mouvement des « gilets jaunes » était un modèle d’équilibre entre nécessaires correctifs et maintien du cap.

L’ancien maire du Havre a mis en vedette l’écologie au quotidien pour tenter de faire oublier la démission de Nicolas Hulot. Puis il a insisté sur la justice sociale en annonçant que les 5 milliards d’euros de baisse d’impôt sur le revenu seraient exclusivement concentrés sur la première et la deuxième tranche. Révolue l’époque où seuls semblaient compter les « premiers de cordée » ! L’avertissement du ministre du budget, Gérald Darmanin, selon lequel « on ne gagne pas l’élection présidentielle sans le peuple », a porté.

Pour « répondre aux peurs », le chef du gouvernement a ensuite mis en vedette le régalien, en annonçant une nouvelle loi de programmation sur la sécurité intérieure, un débat annuel sur l’immigration et la stricte application des principes de la laïcité. L’aile gauche de la majorité n’a pas été oubliée : la procréation médicalement assistée (PMA) viendra en débat au Parlement en septembre, ce qui a valu au premier ministre d’être ovationné par le groupe majoritaire. Tout a été méticuleusement dosé, avec ce qu’il faut de modestie et de contrition. A chaque étape de son discours, Edouard Philippe a multiplié les mea-culpa, banni « l’arrogance » et « l’agressivité » mais, sur le fond, il est resté fidèle à ce qui constitue l’essence du macronisme : l’adaptation à la mondialisation va se poursuivre sur les décombres du vieux monde.

Le « moment Philippe »

Assurance-chômage, retraite, dépendance, le premier ministre a égrené les réformes à venir, sans dissimuler que les Français devront travailler plus longtemps ou que certains cadres verront leurs droits à l’assurance-chômage réduits. Pas plus que le président de la République le premier ministre n’a la réforme honteuse. Au contraire, il tire du résultat du scrutin européen la conviction qu’une partie de la droite est venue en renfort du gouvernement pour l’inciter à « tenir le cap ».

Issu de ses rangs, il s’en félicite et pousse son avantage, tandis qu’Emmanuel Macron se met prudemment en retrait. C’est le « moment Philippe », à la fois fort et fragile, car trois zones d’ombre persistent comme autant de gros nuages : 17 milliards d’euros de dépenses nouvelles ont été engagées pour ouvrir l’acte II du quinquennat sans qu’on entrevoie les économies équivalentes. Soit celles-ci sont cachées, soit elles sont inexistantes. Dans les deux cas, elles relativisent l’ampleur du redressement annoncé.

Le premier ministre s’est par ailleurs fermement engagé à répondre au besoin de proximité exprimé durant le grand débat. Or, depuis le début du quinquennat, la réforme de l’Etat avance à la vitesse de l’escargot. Promettant « un changement de méthode », Edouard Philippe doit enfin trouver des partenaires pour faire vivre la décentralisation, le droit à l’expérimentation et les nouvelles pratiques démocratiques. Or, il bute sur la résistance de la droite sénatoriale qui, se sentant menacée, songe à bloquer la révision constitutionnelle. Pour tenter de briser la résistance, le chef du gouvernement a brandi, à mots couverts, l’arme du référendum ou d’une réforme non négociée du mode de scrutin, mais sans trop d’agressivité car sinon comment croire à son nouvel art de gouverner ? Main de fer ou gant de velours, il faudra pourtant choisir.