C’est un personnage que l’on s’attend plus à rencontrer dans une fosse de concert au Hellfest qu’en dédicace au Salon du livre de Paris. Et pourtant, Benoît Minville, quadra barbu, casquette noire vissée sur la tête et blouson de jean floqué des écussons de ses groupes de métal cultes, a sorti mercredi 12 juin Générations, son huitième livre, le second tome de son thriller fantastique pour adolescents Héros. « Un cri d’amour à la BD, un hommage à Spielberg et Lovecraft », résume l’auteur, qui a « toujours rêvé d’écrire un bouquin qui pourrait être un écho aux cousins américains, mais situé en France ».

Dans ce diptyque arrivé à conclusion, l’écrivain tisse avec énergie les histoires de Matéo, José et Richard, un trio de copains mal assortis qui trompent l’ennui dans leur petite ville de province. C’est Héros, une BD légendaire créée il y a plus de quatre-vingts ans mais toujours ultrapopulaire, qui les réunit. Ils se planquent même régulièrement dans un édifice abandonné pour tenter de créer leur propre série dérivée de cet univers qui les fascine tant. Très vite, la fiction et la réalité vont s’entrechoquer et les trois garçons vont être confrontés à des phénomènes étranges. Des épreuves qui vont aussi vivement questionner leur amitié.

Benoît Minville est libraire et écrivain. Il sort son huitième roman, « Héros », aux éditions Sarbacane. / Sarbacane éditions

Jusqu’alors Benoît Minville s’était tenu à écrire des tomes uniques et des histoires plus ancrées dans le réel. « Le plus difficile avec Héros a été de rester discipliné et technique pour décrire les actions, les phénomènes surnaturels, et garder le lecteur avec soi une fois qu’on l’a embarqué. Autant je n’ai pas de problème avec les dialogues, l’intimité de mes personnages, autant il fallait faire plus d’efforts pour s’imprégner d’un univers avec son vocabulaire, ses canons », détaille l’auteur, qui cite Daniel Pennac, Joe R. Lansdale, Robert Louis Stevenson, Stephen King, mais aussi des mangakas, comme Katsuhiro Otomo parmi ses auteurs favoris.

Celui-ci avait conscience des écueils qui existent à s’inspirer des grands. « Comme en musique et au cinéma, je pense qu’il est préférable d’emprunter et de rendre hommage plutôt que de piller et copier plan par plan. Il faut tenter à tout prix de garder sa propre patte », argumente t-il. Il faut dire qu’à l’heure des réseaux sociaux et d’un gros regain de nostalgie pour le cinéma pop-corn des années 1980 et les films de genre, nombre de fans se révèlent aussi calés et exigeants que les créateurs. Souvent plus, même, concède l’écrivain : « Les lecteurs nous ramènent souvent à plus d’humilité avec leur savoir. »

Scolarité chaotique

La modestie guide également son travail de libraire dans les rayons polar, SF et ado de la Fnac de la Défense, son occupation principale. Un métier de passion commencé quelque temps après « avoir obtenu le bac par miracle ». Benoît Minville, qui a grandi dans le 17e arrondissement de Paris « entre la porte de Clichy et la porte de Saint-Ouen » avant de passer son adolescence en banlieue parisienne, était plutôt un garçon fâché avec l’école, préférant aux devoirs les jeux de rôle, comme Cyberpunk 2020 ou L’Appel de Cthulhu. « Même en lecture j’avais un peu de mal avec les livres imposés à l’école. Je n’avais pas l’œil ou la maturité pour voir leur intérêt. Mais quand j’ai redoublé ma troisième, un prof a mis un livre dans mes mains qui a changé ma vie. » La Fée Carabine, de Daniel Pennac, son « mentor de lecture » : « Il m’a fait décomplexer par rapport à mon parcours scolaire calamiteux. »

Benoît Minville a pu remercier « son mentor de lecture », Daniel Pennac, sur le plateau de « La Grande Librairie », en décembre 2018. / Capture d’écran YouTube

Mais l’envie de librairie a toujours été là, exercée très jeune. Chaque mois de juillet, il « allait se faire un petit bifton » en travaillant dans la petite boutique parisienne où officiait sa mère, elle-même libraire. L’auteur assure d’ailleurs :

« Même si ça commence à marcher pour moi en tant qu’auteur, je veux continuer à rester libraire, pour rester connecté à la réalité, garder un pied dans le salariat, je risquerais sinon de redevenir cet élève perdu, sans inspiration. »

Alors pour concilier son rôle de mari, de père de deux filles de 8 et 6 ans et celui d’auteur, il a arrêté de travailler à la Fnac le vendredi pour le consacrer à l’écriture.

« J’adore raconter des histoires de potes, l’amitié est une part prégnante de mon boulot »

Bien qu’il nage dans les livres, Benoît Minville questionne toujours sa légitimité d’auteur. « Je suis un prolo, un banlieusard, un petit salarié d’un gros groupe. La littérature est un milieu intimidant », dit-il. De ces fêlures, dont certaines remontent au collège, le romancier a aussi fait un atout. Les parties de jeu de rôle dans la maison, les soirées à veiller autour de la table enfumée n’auront pas été vaines : c’est à cette même période que sont nés dans son imagination les personnages de Héros, que les émois adolescents sont restés accrochés au cœur pour mieux nourrir la plume vingt ans plus tard.

Ses personnages sont des enfants d’aujourd’hui, mais Benoît Minville a dispersé son lui ado, ses défauts, ses qualités, ses attentes, ses fantasmes et ses regrets en chacun d’eux. Les héros sont peu décrits physiquement, pour laisser s’épanouir l’imagination du lecteur, mais finement dépeints dans leur façon d’être et leur amitié. José, le balourd gâté et fanfaron qui met les pieds dans le plat. Matéo, le beau gosse qui ne veut pas lâcher ses amis d’enfance et Richard, le taciturne, surtout depuis que rien ne va à la maison. « J’aime travailler l’universel et j’adore raconter des histoires de potes ; l’amitié est une part prégnante de mon boulot », explique l’auteur.

Réalisme social

La justesse et l’universalité des deux tomes de Héros tiennent également au fait que, malgré leur fil fantastique, le romancier les ancre au pied du Morvan dans des familles qui ne bouclent pas toujours bien les fins de mois. Une sensibilité pour le réalisme social qu’il partage avec ses amis écrivains Marion Brunet et Nicolas Mathieu, Prix Goncourt 2018.

« J’ai toujours 16 ans dans ma tête »

Cette France rurale – qu’il a déjà racontée dans Les Belles Vies (Sarbacane, 2016) –, où quand on a 15 ans on s’ennuie souvent, où on croise les mêmes têtes depuis la maternelle, mais où on peut vite s’affranchir des parents. Un amour des récits buissonniers que Benoît Minville a cultivé lors de ses vacances dans la Nièvre d’où est originaire son grand-père :

« Je n’ai jamais été ailleurs en France et je suis devenu copain avec des jeunes du cru. Je me rappelle de ce sentiment de liberté totale, où on avait le droit de faire sept bornes à vélo sans les parents pour aller se baigner… A chaque fois que je rentrais à Paris, je comptais les jours qui me séparaient du prochain séjour. »

Des conditions qui rappellent les grandes aventures d’amitié et les récits d’apprentissage, de Tom Sawyer à la série Stranger Things, en passant par le film Stand by Me. « Les Américains ont “copyrighté” ce concept depuis que Spielberg a mis Elliott sur un vélo dans E.T. mais c’est une image commune à la jeunesse occidentale depuis longtemps, c’était déjà présent dans La Guerre des boutons », défend l’auteur.

A la liberté se mêle aussi une conscience sociale que l’auteur dit avoir forgée sur le tard. Il l’avait déjà mise au cœur de son premier roman Je suis sa fille (Sarbacane, 2013). L’histoire d’une ado qui souhaite venger son père cloué à l’hôpital entre la vie et la mort à la suite de pressions professionnelles, qu’il a décidé d’écrire après avoir entendu parler du suicide d’un salarié d’Orange. « J’ai commencé à écrire de façon sérieuse après la trentaine. Même si j’ai toujours 16 ans dans ma tête, je suis devenu père, j’ai vu aussi évoluer une société qui ne me plaît pas trop, de moins en moins d’ailleurs. » Tout en défendant le droit de rêver.

Héros – Livre 1 : Le Réveil, de Benoît Minville, éd. Sarbacane, 440 pages, 17 euros.

Héros – Livre 2 : Générations, de Benoît Minville, éd. Sarbacane, 312 pages, 17 euros.