Voici un corrigé du deuxième sujet de l’épreuve de philosophie du bac 2019, série ES, que Le Monde vous propose en exclusivité, en partenariat avec Annabac.

La question : « Le travail divise-t-il les hommes ? »

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La problématique du sujet

• Le travail est une activité dans laquelle les hommes transforment la nature en vue de produire des biens qui leur sont utiles et de subvenir à leurs besoins.

• Cette activité n’est jamais solitaire : elle implique des échanges et une certaine coopération entre les hommes. Or la notion de « division » renvoie à l’idée de différences voire d’inégalités établies à l’occasion du travail et donc sources de conflits.

• Le travail lui-même divisé car il faut répartir les tâches : n’est-ce pas là qu’il faut chercher la source de ces divisions ? Le sujet implique de réfléchir à la nature du travail, mais surtout à son organisation concrète.

Plan détaillé

1. Le travail est une entreprise collective

A. LA VALEUR CULTURELLE DU TRAVAIL

• Par le travail l’homme fait face à la nature et subvient à ses besoins : certes les animaux transforment aussi la nature, mais l’homme est le seul être capable de travailler : il conçoit une idée, il fabrique les outils propres à réaliser efficacement cette idée, il met en œuvre ses forces intellectuelles et physiques (sa « force de travail ») pour parvenir à ses fins (Marx, Le Capital).

• Le travail est donc civilisateur : par cette activité, non seulement les hommes parviennent à survivre, mais également à progresser. Ils apprennent, deviennent plus efficaces et plus puissants. Ils s’arrachent à la nature, la dominent, entrent dans la culture et construisent une société.

B. LE TRAVAIL UNIT LES HOMMES ET LES RENFORCE

• Une société est une association d’individus qui tissent des liens d’échange et de solidarité : de nombreux philosophes pensent que le travail est en ce sens le fondement des sociétés humaines. Car le travail engage une coopération entre les hommes : selon Platon, c’est à l’occasion du travail qu’ils entrent en relation et commencent à organiser la Cité. C’est donc une activité qui les regroupe, contrairement par exemple à la chasse ou à la cueillette qui peuvent être solitaires. Le travail est toujours un « travail d’équipe ». Au contraire, une personne qui perd son travail se sent « exclue » de la société.

• Selon les économistes classiques, le travail crée de la valeur : à la fois une valeur d’usage (le produit du travail est utile) et une valeur d’échange (ce produit peut être mis sur le marché et être échangé), comme Aristote déjà l’avait observé (La Politique). Le travail crée de la richesse pour l’ensemble de la collectivité et, en ce sens, la renforce : aujourd’hui, on mesure par exemple la puissance des pays au « produit national brut ».

2. De la division du travail à la division des travailleurs

A. LA NÉCESSITÉ D’ORGANISER LE TRAVAIL

• Le travail est plus efficace lorsqu’il est divisé : comme Adam Smith l’a montré avec l’exemple d’une manufacture d’épingles, on est beaucoup plus efficace lorsqu’on travaille à plusieurs et que chacun se spécialise dans une tâche. La production est plus massive, de meilleure qualité et se fait à moindre coût (De la richesse des nations).

• Toujours selon Smith, le fait que chacun recherche son profit personnel dans le travail n’est pas non plus un problème, car la richesse se diffuse par le moyen des échanges. Chacun peut ainsi vivre de son travail et créer de la richesse pour tous même si ce n’est pas son intention initiale. C’est comme si les agents étaient poussés par une « main invisible » à renforcer la société et à faire le bien commun en cherchant avant tout à satisfaire leur égoïsme.

B. LES EFFETS NÉFASTES DE LA DIVISION DU TRAVAIL

• Mais de fait, la division du travail a aussi des effets néfastes qu’il ne faut pas négliger : on distingue par exemple le travail intellectuel et le travail manuel, mais cette distinction s’accompagne d’une forte valorisation de l’un tandis que l’autre est déprécié. Dans le travail à la chaîne, par exemple, où le travailleur est cantonné à une tâche répétitive et purement manuelle, on observe un phénomène que Marx appelle « aliénation » (Le Capital). Le travailleur est étranger à son travail, il ne peut pas se reconnaître en lui et il ne l’accomplit finalement que pour une seule raison : gagner sa vie.

• La division du travail engendre une division des travailleurs, car elle est synonyme d’exploitation : accomplir les travaux les plus basiques ne nécessitant pas de formation, les salaires sont donc très bas et le sont d’autant plus que les travailleurs sont mis en concurrence. Pour Marx, le chômage n’est donc pas un accident dans le système capitaliste, fondé sur le profit, mais il est structurel car il permet d’exercer une pression à la baisse sur les salaires.

3. Une meilleure répartition des tâches

A. LA NOTION DE CLASSE SOCIALE

• En suivant toujours l’analyse de Marx, on peut contester cette division des travailleurs et voir au contraire que ce rapport au travail unit les hommes, du moins une bonne partie d’entre eux dans une même classe sociale : celle du « prolétariat », par opposition à la « bourgeoisie ». L’objectif de Marx dans le Manifeste du parti communiste est de faire émerger cette conscience de classe chez les ouvriers et de les inciter à la lutte, car leurs intérêts sont les mêmes : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ». Les hommes sont divisés car dans la société a lieu « une guerre civile plus ou moins larvée ».

• Mais précisément, cette division doit aujourd’hui être pensée à l’échelle mondiale : les divisions existant dans notre société sont peut-être à relativiser face aux inégalités entre les différents pays : on a beau être pauvre, on est toujours le riche de quelqu’un. De plus, l’abolition de la propriété privée des moyens de production préconisée par Marx ne règle pas à elle seule la question de la division du travail et, incidemment, celle des travailleurs. Il s’agit de redonner au travail son aspect global, c’est-à-dire faire en sorte qu’on y investisse et qu’on y développe à la fois des qualités intellectuelles, manuelles et même morales.

B. RÉINVENTER LE TRAVAIL

• Le problème vient peut-être du fait que le travail est trop indexé sur sa dimension productive et pas assez sur sa dimension socialisatrice : la division des tâches et des hommes culmine dans le taylorisme, basé sur la définition et le séquençage de chaque tâche nécessaire à la réalisation d’un produit. L’invention perpétuelle de nouvelles machines qui effectuent des tâches à la place de l’homme pourrait être l’occasion de distribuer autrement les rôles et aussi de donner du temps libre : comme le dit Bergson, la machine serait alors la « grande bienfaitrice » de l’humanité (Les deux sources de la morale et de la religion).

• Aujourd’hui le monde du travail est le théâtre de nombreux rapports de force, parce que les hommes aussi sont considérés comme des ressources dont il faut tirer le plus grand profit, la plus grande efficacité, parfois au détriment de la santé publique (stress, épuisement professionnel) et au détriment de l’harmonie sociale (mépris social, accroissement des inégalités). Pour unir les hommes par le travail, il ne faut pas oublier, précisément, que ce sont des hommes et non pas des machines.

Conclusion

La nature du travail, qui est fondamentalement positive, peut se trouver renversée par les conditions de son organisation, qui peuvent en faire une torture pour certains hommes et les opposer au lieu de les unir. Les moyens techniques ont révolutionné le monde du travail depuis la révolution industrielle puis la révolution numérique, mais nous n’avons pas encore trouvé les solutions pour donner concrètement au travail la dimension unificatrice qu’il devrait avoir.

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