Est-il possible d’échapper au temps ? En courant vite, peut-être... / Eric AUDRAS/Onoky / Photononstop

Voici une proposition de corrigé du premier sujet de l’épreuve de philosophie du bac 2019, série L, en partenariat avec Annabac.

Le sujet 1 : « Est-il possible d’échapper au temps ? »

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La problématique du sujet

• Nous sommes des êtres temporels puisque nous avons conscience du temps : notre mémoire, notre attention, notre imagination, nous permettent en effet de convoquer le passé, le présent et l’avenir dans ce que nous faisons ou pensons. Pourtant ce pouvoir empêche-t-il le temps de passer ? De fait, le temps est également ce en quoi se déploie notre existence, et ce qui nous voue inéluctablement à la mort. Mais alors, sommes-nous nécessairement impuissants face à lui ?

• Echapper au temps pourrait signifier se soustraire à son passage, donc d’être immortel, ou encore lutter contre le passage du temps en essayant de se soustraire à ses effets ou en créant des points de résistance à son passage. Enfin, il pourrait s’agir d’oublier que nous allons mourir ou de fuir la tristesse de l’idée de la mort.

Plan détaillé

1. L’homme ne peut échapper au temps

A. L’HOMME EST MORTEL

• Le temps donne sa forme et sa limite à notre existence : la finitude définit l’existence humaine, si bien qu’il peut d’abord sembler vain de vouloir s’extraire du temps en désirant être immortel ou en masquant les signes du vieillissement.

• Dans la Lettre à Ménécée, Épicure fait ainsi du « désir d’immortalité » le pire des désirs vides, à savoir ces désirs qu’il est impossible de satisfaire et qui en cela nous vouent au malheur et à l’excès. Effacer les signes du vieillissement n’est pas échapper au temps mais se livrer à lui par la souffrance d’un combat perdu d’avance.

B. L’HOMME EST UN ÊTRE TEMPOREL QUI FAIT EXISTER LE TEMPS

• Vivants promis à la mort, nous sommes également liés au temps par notre mémoire, notre attention et notre imagination, qui font que nous avons l’idée du temps, et que cette idée est celle d’une chose dont, comme le souligne saint Augustin, tout l’être est de passer.

• Face à cet adversaire insaisissable, nous ne pouvons qu’envier l’insouciance de la vie animale qui se trouve allégée du poids du temps inscrit en l’homme par le développement même de ses facultés intellectuelles. C’est le sens de l’analyse nietzschéenne de l’oubli : si la mémoire qui nous rapporte au passé est ce qui rend possible la connaissance, elle est aussi ce qui nous fait souffrir en ce qu’elle nous rapporte à tout ce que nous avons perdu. Or, comment « apprendre l’oubli » ?

2. Il nous est possible de résister au passage du temps

A. IL EST POSSIBLE DE LUTTER CONTRE LE PASSAGE DU TEMPS

• Pourtant, s’il est impossible de se soustraire au passage du temps ou de nous défaire de ces qualités intellectuelles qui nous le rendent sensible, toute lutte contre le temps est-elle vaine ? Le « désir d’immortalité » condamné par Epicure n’est-il qu’un désir vide, source de souffrance, ou n’y a-t-il pas une positivité de ce désir en ce qu’il nous porte à dépasser les limites de notre existence humaine ?

B. IL EST POSSIBLE DE CRÉER DE L’IMMORTALITÉ

• S’il n’est pas possible de sortir du temps, il est pourtant possible de s’opposer à son passage : c’est en particulier le sens de l’analyse par Hannah Arendt de l’œuvre d’art : la spécificité de cette œuvre, parmi tous les objets du monde, réside précisément dans son rapport au temps. Ni « produits de consommation » ni « produits de l’action » inscrits de façon précaire dans le temps, ni « objets d’usage » usés par le temps, les œuvres d’art, dit-elle, sont les seules créations humaines qui accèdent à une « immortalité potentielle » : l’œuvre d’art est bien un point fixe par lequel l’homme s’échappe du temps qui s’inscrit en lui par la répétition et l’incessant écoulement de sa vie biologique.

• Cependant, ce qui nous pèse, n’est-ce pas avant tout l’idée que nous allons mourir, et nos œuvres d’art nous en empêchent-elles ?

3. On peut échapper à l’idée que le temps nous condamne

A. NOUS POUVONS FUIR L’IDÉE DE NOTRE MORT

• En réalité, nous sommes d’abord victimes du temps dans la mesure où penser le temps, c’est avoir l’idée de sa propre mort. Mais si nous sommes impuissants à échapper à la mort, n’avons-nous pas le pouvoir d’échapper à la souffrance liée à l’idée que nous allons mourir ?

• Dans les Pensées, Blaise Pascal évoque le divertissement comme le pis-aller trouvé par l’homme pour fuir l’idée qu’il va mourir. S’il n’y a que l’idée de Dieu pour donner un sens à notre existence de mortels, nous avons toujours la possibilité, dit-il, de nous absorber dans cette fuite du temps et de nous-mêmes qui n’est que la marque de notre misère humaine.

B. L’IDÉE DE LA MORT DOIT NOUS RAPPELER AU SOUCI DE BIEN VIVRE

• Mais le temps nous condamne-t-il vraiment ? Echapper vraiment au temps ne serait-il pas échapper non pas à l’idée que nous allons mourir mais à la tristesse produite par cette idée ?

• Dans la Lettre à Ménécée, Epicure nous explique comment se délivrer de la crainte de la mort qui nous empêche de vivre. La mort, dit-il, est un phénomène physique et une réalité que nous ne rencontrerons jamais, puisque nous sommes, en tant que vivants, le contraire d’elle. En ce sens, l’idée de la mort n’est pas à fuir : ce qu’il faut combattre, c’est la tristesse qui lui est liée, et nous ne pouvons la combattre qu’en nous appuyant sur l’idée vraie de la mort, qui nous rappelle à l’urgence de bien vivre.

Conclusion

En définitive, s’il est impossible de ne pas mourir, il est bien en notre pouvoir d’échapper au temps en nous délivrant de la souffrance et de l’impuissance produites par l’idée que le temps nous condamne à la mort. Echapper au temps serait alors se libérer de la tristesse et regarder en face l’idée de notre propre mort pour profiter de ce temps qui nous est compté.

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