Manifestation à Alger contre le pouvoir, le 14 juin 2019. / Ramzi Boudina / REUTERS

« J’étais dans un Yassir, une compagnie de taxi que l’on commande par géolocalisation. Une fois arrivé à destination, ni le chauffeur ni moi ne pouvions valider la course. C’est à ce moment-là qu’on a compris qu’Internet était coupé », raconte Abdallah, 37 ans, travailleur indépendant. Depuis dimanche 16 juin, l’accès à Internet est bloqué en Algérie. Entre 8 heures et 17 heures environ, l’accès à l’Internet mobile est presque impossible et les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter ou Instagram sont inaccessibles sur les connexions ADSL.

L’examen du baccalauréat a débuté ce dimanche pour 674 000 élèves. Aucune annonce officielle n’a été donnée concernant la coupure d’internet. Cependant, les années précédentes, les autorités avaient effectivement coupé l’accès au réseau lors de l’examen pour lutter contre la triche. En 2018, la ministre des télécommunications, Houda Feraoun – l’une des rares à avoir été reconduite dans le gouvernement nommé par Noureddine Bedoui –, avait annoncé qu’Internet serait coupé « pendant une heure, au début de chaque épreuve ».

Le ministre de l’éducation nationale, Abdelhakim Belabed, a par ailleurs déclaré que ces mesures « coercitives » avaient démontré leur « efficacité » ces deux dernières années. Dimanche, le ministère de la défense a annoncé que des appareils de brouillage avaient également été installés dans les salles qui dépendent de l’Office national des examens et des concours.

« J’ai perdu des marchés »

Pour le ministre de l’éducation, la première journée d’examen s’est déroulée « dans de bonnes conditions », aucun sujet n’ayant fuité selon lui. Les épreuves se poursuivront jusqu’au 20 juin. Les coupures aussi. « C’est dramatique, soupire Kahina, enseignante et directrice d’une école de formation, qui ne peut assurer ses cours habituels par vidéoconférence. On consacre une génération de tricheurs ! » « L’Etat ne cherche pas de solution. Les élèves trichent ? Il faut lutter contre ce comportement. Mais non, on choisit ce qui génère des problèmes pour toute la population », s’emporte Abdallah.

L’impact sur les activités professionnelles est important. Selon les autorités, plus de 31 millions d’Algériens possèdent une connexion Internet mobile. « Je ne peux pas télécharger les fichiers avec lesquels je travaille pendant la journée, donc je prends du retard », raconte Tarik, imprimeur. « C’est simple, j’ai perdu des marchés, déplore Samy, technicien du secteur audiovisuel. On a des compétences qu’on pourrait vendre à l’étranger, mais comment faire comprendre à un client européen ou asiatique qu’on n’a pas accès à Internet ! Ils ne comprennent pas. Plutôt que de jouer ma réputation, j’ai annulé tout mon travail de la semaine. »

Ce mardi 18 juin, s’ouvre la Foire internationale d’Alger avec pour thème « Diversification économique et opportunités de partenariat ». Imène, chef d’entreprise, doit gérer son organisation et celle de ses salariés sans avoir accès à Internet sur son téléphone : « C’est comme si nos manifestations n’avaient servi à rien du tout. C’est ce type de gestion qu’on dénonce. Il faut qu’ils dégagent tous ! »

Ce n’est pas la première fois que les autorités tentent de contrôler l’accès à Internet depuis le début du mouvement de protestation. L’accès aux réseaux sociaux avait été bloqué le vendredi 22 février, jour du premier appel à manifester contre un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Par ailleurs, l’accès au site d’information Tout sur l’Algérie (TSA) est bloqué depuis le 12 juin.