L’équipe nationale de football de la République islamique de Mauritanie. / FFRIM

Autour du rituel des trois thés sahariens, c’est une success story du sport africain qui se raconte lentement. La Mauritanie, qui disputera à partir du 21 juin en Egypte sa première Coupe d’Afrique des nations (CAN), a longtemps végété dans les profondeurs du classement FIFA. « Nous avons été classés dans les derniers [206e sur 211 en 2012] avec les pays en guerre comme la Somalie ou d’autres qui ne jouent jamais au foot comme les îles Vierges britanniques, se souvient un ancien joueur. Je ne compte plus le nombre de fois où la sélection nationale a déclaré forfait parce que les billets d’avion de l’équipe n’étaient pas réservés. La sélection a même été suspendue de toute compétition officielle. » A cette organisation parfois hasardeuse, il fallait ajouter un cruel manque de moyens : avant les matchs de championnat, les lignes des terrains étaient tracées sur le sable avec de l’huile de vidange usagée.

La Mauritanie, pays de transition entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, peuplé d’environ 4 millions d’habitants, n’a jamais eu de culture sportive proprement dite, aucun médaillé dans une grande compétition internationale. Il y a une quinzaine d’années, il y était même mal vu de courir derrière un ballon après l’âge de 15 ans.

Mais les mentalités ont beaucoup évolué. « En novembre, la qualification pour la CAN a donné une immense fierté à tout le monde, se félicite Moustapha Sall, sélectionneur adjoint. Les gens montaient sur le toit des voitures avec leur drapeau pour fêter la victoire. On n’avait jamais vu ça. Pour le départ à la CAN, des dizaines de véhicules ont escorté le bus des joueurs en pleine nuit jusqu’à l’aéroport. L’engouement pour l’équipe nationale est très fort. »

Une fédération de près de 12 000 licenciés

A l’origine de cette réussite, se trouve le projet amorcé en 2011 par Ahmed Yahya, président de la Fédération de football de la République islamique de Mauritanie (FFRIM). Il a commencé sa carrière de dirigeant au FC Nouadhibou où, avec Aziz Boughourbal, un ami d’enfance, il crée à l’âge de 24 ans un club dans la capitale économique de la Mauritanie. Les deux hommes, tous deux patrons d’une société de pêche, développent rapidement les infrastructures (centre de formation, salle de sport, soutien scolaire…) et misent sur la durée. « Nos familles nous prenaient pour des fous, mais on a tenu bon, se souvient Ahmed Yahya. On a agi comme des passionnés mais en essayant de faire des choix responsables. » Depuis, le FC Nouadhibou, à nouveau sacré champion de Mauritanie en 2019, enchaîne les titres nationaux.

Encouragé par son succès, Ahmed Yahya, âgé aujourd’hui de 43 ans, se lance à l’assaut de la fédération. « Pour susciter l’engouement de mes compatriotes pour le foot mauritanien, il fallait que les joueurs du championnat soient connus et donc diffuser les matchs, raconte-t-il. On a commencé avec nos petits moyens, puis la FIFA nous a accompagnés dans ce projet télévisuel. » Il lance également la soirée des Awards, un événement annuel retransmis en direct et destiné à récompenser le meilleur entraîneur, le meilleur joueur de la saison… Progressivement, le public s’identifie aux joueurs. Les sponsors arrivent.

Son projet s’accompagne d’une équipe dirigeante composée de Mauritaniens et d’étrangers expérimentés. Leur mission : structurer le football et miser sur les catégories de jeunes. « Quand je suis arrivé en novembre 2012, il y avait un championnat moribond, se souvient l’Espagnol Luis Fuertes, promu directeur technique national. Avec patience et méthode, on a restructuré le foot. Aujourd’hui, il y a une Super D1 qui est semi-professionnelle, une super D2, un championnat régional, une académie et un championnat pour les jeunes, des sélections nationales U20, U17… » La fédération compte près de 12 000 licenciés, un nombre en constante augmentation.

« Le présent du football est en Mauritanie »

En arpentant les locaux de la fédération aujourd’hui, on mesure le pas de géant qui a été réalisé au niveau des infrastructures. Près du siège, se trouvent plusieurs bâtiments dans lesquels on découvre des salles de réunion, un studio télé ultramoderne, un amphithéâtre, des bureaux… A côté, se dressent un stade flambant neuf de 8 200 places et trois terrains synthétiques. « Quand on vient en Mauritanie, on comprend mieux les progrès effectués par son football, a reconnu l’ancien international ivoirien Didier Drogba, de passage à Nouakchott en 2018. Ce sont des choses qu’on voit très peu en Afrique. » Depuis quelques mois, le football féminin se développe aussi.

En visite à Nouakchott en 2017, Gianni Infantino n’a pas tari d’éloges sur le développement du foot en Mauritanie. « Il a fait un bond exceptionnel, s’est félicité le président de la FIFA. La fédération a dépensé 1,4 million de dollars [1,25 million d’euros] pour construire un stade pouvant accueillir des matchs internationaux. C’est très louable et c’est un très bon exemple de réussite. Quand j’avais 12 ans, on disait que l’avenir du football était en Afrique. Maintenant, je dis que le présent du football est en Afrique et que le présent du football est en Mauritanie. »

Quelques mois plus tard, Ahmed Yahya était élu meilleur dirigeant africain par la Confédération africaine de football (CAF) et par la FIFA. « Voilà un exemple de bonne gouvernance », a déclaré en mai Fatma Samoura, secrétaire générale de la FIFA, venue à Nouakchott pour lancer Football for Schools, un programme de l’instance faîtière destiné à encourager les jeunes à la pratique sportive.

« Gagner au moins un match »

La progression de l’équipe nationale, surnommée les Mourabitounes en référence aux guerriers almoravides, une dynastie berbère à l’origine de la création du pays, a été régulière au fil des années. Depuis cinq ans – un exemple de stabilité pour un sélectionneur sur le continent africain –, elle s’appuie sur un staff composé autour de Corentin Martins, ancien milieu de terrain de l’AJ Auxerre et de l’équipe de France. « Quand il y a de la sérénité dans le travail, les résultats sont souvent au bout, affirme le sélectionneur, dont le contrat a été renouvelé jusqu’en 2021. Il faut continuer à travailler et dessiner de nouvelles ambitions. »

En 2014, en Afrique du Sud, la sélection mauritanienne a participé pour la première fois de son histoire au Championnat d’Afrique des nations (CHAN). Elle a également disputé cette compétition en 2018 au Maroc, mais toujours sans remporter de match. Classée aujourd’hui à la 103e place du classement FIFA et élue meilleure équipe africaine en 2018, que peut espérer la Mauritanie pour sa première Coupe d’Afrique des nations ? Dans une poule compliquée face au Mali, la Tunisie et l’Angola, il se murmure qu’il « faudrait faire bonne figure » ou « gagner au moins un match ». Mais tout le monde rêve en secret de se qualifier pour les huitièmes de finale, quitte à passer par une place de « meilleur troisième » s’il le faut.

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Parce que cette fédération est érigée en modèle par les instances mondiales du football et que le staff des Mauritaniens a accepté de nous ouvrir ses portes, Le Monde Afrique va suivre le parcours de cette équipe pendant sa première CAN, vous faire vivre le quotidien de la formation qui jouera ses trois premières rencontres à Suez. Après un stage de préparation à Marrakech ponctué par une victoire en match amical face à Madagascar (3-1) et une défaite sévère contre le Bénin (3-1), l’équipe des Mourabitounes s’est envolée mercredi 19 juin pour le pays des pharaons. « Aujourd’hui, nos adversaires se méfient de notre équipe, explique Moustapha Sall. L’effet de surprise ne joue plus en faveur des Mauritaniens. C’est le plus difficile qui commence. »