Une voiture de police quitte la brigade anticriminalité à Marseille, le 2 octobre 2012. / BORIS HORVAT / AFP

Cinq cents grammes de cannabis dissimulés dans les faux plafonds des vestiaires de la brigade anticriminalité (BAC), des revendeurs de drogue qui dénoncent des vols et des rackets à l’occasion d’interpellations, sept policiers jetés en prison…

Lorsqu’en octobre 2012, l’affaire de la BAC Nord éclate à Marseille, la justice entend alors diriger vers la cour d’assises ceux qu’on désigne comme des « ripoux », une « bande organisée » qui commettrait violences aggravées et extorsions.

Près de sept ans plus tard, c’est finalement devant le tribunal correctionnel que le juge d’instruction Pierre Philipon a, le 13 juin, renvoyé dix-huit anciens policiers de la BAC Nord tandis que deux autres ont bénéficié d’un non-lieu. Blanchis des accusations les plus graves, ils seront jugés dans les prochains mois pour trafic de stupéfiants et vols en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions.

« Pratiques professionnelles très largement dévoyées »

Dans son ordonnance, le magistrat ne décrit pas une « véritable gangrène » qui aurait gagné tout un service de police, selon l’expression qu’avait utilisée à l’époque le procureur de la République de Marseille, Jacques Dallest. Il observe néanmoins que les « pratiques professionnelles des fonctionnaires de la BAC Nord étaient très largement dévoyées ». Selon lui, « bien au-delà d’un simple laisser-aller professionnel ou d’un manque de rigueur, chaque opération [de police] devenait en réalité prétexte soit à l’attribution de produits en vue d’une éventuelle rémunération d’informateurs officieux, soit à un enrichissement personnel ».

Alertées sur les dérives au sein de la BAC Nord, la « police des polices » et la justice avaient déployé les grands moyens, habituellement réservés au grand banditisme. Des bureaux dans les locaux de police et six véhicules administratifs avaient, durant six mois, été discrètement sonorisés avec des micros cachés.

Sur ces enregistrements, les enquêteurs de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) estiment détenir des preuves. « J’ouvre la sacoche… y avait plus de 2 500 euros… j’ai régalé cinq collègues », entend-on d’un policier lors d’une patrouille. Un autre raconte comment un petit voleur à l’arraché de colliers avait été laissé libre : « Bon, allez, file-nous deux barrettes et on te laisse tranquille. » Mauvaise transcription, fausse interprétation de plaisanteries de mauvais goût, se défendent les « baqueux ».

« Les fonctionnaires n’hésitaient pas à racketter des dealers ou des vendeurs à la sauvette pour récupérer leur marchandise ainsi que l’argent », écrit à l’époque la juge d’instruction pour justifier sa demande de placement en détention de sept d’entre eux qui resteront incarcérés d’octobre à décembre 2012. Des collègues ont assuré avoir été écartés pour ne pas avoir accepté ces pratiques et les délinquants s’en sont donné à cœur joie. « Les policiers ripoux de la BAC volent les sacoches des dealers et moi ils m’ont pris 5 000 euros », assure ainsi un escroc aux cartes bancaires falsifiées qui ajoute : « Je vois d’ailleurs souvent ces policiers au casino de Cassis [Bouches-du-Rhône]. »

« Tous ces trafiquants qui se gavent, je ne supporte pas »

Un équipage est soupçonné d’avoir, le 31 août 2012, prélevé 9 000 euros sur une somme de 36 000 euros détenue par un homme interpellé alors qu’il venait de balancer un demi-kilo de résine de cannabis dans des buissons à la vue des fonctionnaires de la BAC. Le conducteur et son passager avaient été conduits au commissariat dans le véhicule administratif tandis que deux policiers ramenaient l’Audi A3 des trafiquants. Un gros paquet d’argent s’y trouvait sur le tapis de sol. « L’argent n’a pas été compté quand je suis arrivé au commissariat mais sept ou huit heures après. C’est une liasse de 5 000 euros qui est manquante ainsi que quatre de 1 000 euros en billets de vingt euros », accuse le trafiquant.

Certains policiers ont reconnu avoir remis à des indics les stupéfiants saisis ou récupérés lors de l’interpellation de « charbonneurs » (revendeurs). « Ils sont destinés à des tontons qui donnent de bonnes infos », a expliqué un chef de groupe. Des entorses justifiées par la nécessité de remplir les « quotas » à l’époque fixés à vingt-huit interpellations par mois dont 40 % de délinquance de voie publique.

Au juge qui lui oppose qu’« exercer des méthodes de voyou pour chasser les voyous ne peut être accepté », ce policier d’expérience rétorque : « J’ai toujours essayé de bien faire, au mieux. Tous ces trafiquants qui se gavent, je ne supporte pas. Ça fait trente ans que je suis flic et ça m’énerve. Moi, je me lève tous les matins pour aller travailler. J’aurais dû rester planqué dans un bureau. » D’autres ont clairement avoué avoir conservé des bouteilles, des cigarettes de contrebande et, pour l’un d’eux, 540 euros. « Un pétage de plombs, a reconnu ce dernier. En récupérant la sacoche, je me suis dit que, comme ça, j’allais faire du mal au trafic. C’est n’importe quoi. »

Le ministre de l’intérieur Manuel Valls avait très vite dissous l’équipe de jour de la BAC Nord et suspendu les policiers mis en cause. Les conseils de discipline n’ont pas prononcé les lourdes sanctions réclamées : trois policiers ont été révoqués, un autre rétrogradé, tandis que douze ont été condamnés à une exclusion temporaire de quinze jours avec sursis à six mois ferme. Quatre ont fait l’objet d’un blâme.

La « montagne accouche d’une souris »

Alors l’affaire a-t-elle été démesurément grossie ? « Bien sûr qu’il y a des choses à leur reprocher mais ces policiers ont surtout été victimes de querelles entre grands chefs de la police et d’égos surdimensionnés », estime un observateur qui souhaite conserver l’anonymat.

Avec soixante-dix fonctionnaires sous son autorité, le patron de la BAC a eu du mal à croire à l’ampleur des dérives. « J’ai tourné presque tous les jours, avait-il expliqué. Nos “clients” m’ont bien identifié en tant que chef de la BAC et, jamais dans une cité, un individu ne m’a indiqué avoir été victime d’un comportement de ce genre de la part d’un des fonctionnaires. »

La défense des policiers dénonce donc une « montagne qui accouche d’une souris ». « Il aura fallu sept ans pour que la justice envisage un débat contradictoire devant un tribunal », déplore ainsi MAlain Lhote qui entend « démontrer que les charges finalement retenues ne résisteront pas à un examen objectif ».