Le drapeau berbère ne sera manifestement plus toléré dans les manifestations en Algérie. Le chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, a annoncé mercredi 19 juin que les forces de l’ordre allaient s’assurer qu’aucun autre drapeau que « l’emblème national » ne serait brandi dans les défilés en Algérie.

Véritable homme fort du pays depuis la démission le 2 avril du président Abdelaziz Bouteflika, le général Gaïd Salah s’est exprimé pour la troisième fois en trois jours, dénonçant « la tentative d’infiltrer les marches et de porter d’autres emblèmes que notre emblème national par une infime minorité ». Des « instructions strictes ont été données aux forces de l’ordre pour une application rigoureuse des lois (…) et pour faire face à quiconque tente encore une fois d’affecter les sentiments des Algériens à propos de ce sujet sensible et délicat », a-t-il poursuivi, sans préciser les mesures envisagées.

S’il n’a pas explicitement désigné l’emblème mis en cause, le chef d’état-major semble clairement faire référence au drapeau amazigh (berbère), constitué de trois bandes horizontales bleue, jaune et verte et frappé au centre de la lettre Yaz de l’alphabet tifinagh. Ce drapeau figure en bonne place au côté des couleurs nationales dans les manifestations qui réclament depuis le 22 février un changement de régime.

Un quart de la population est berbérophone

« L’Algérie ne possède qu’un seul drapeau (…) symbole de [sa] souveraineté (…), de son indépendance, de son intégrité territoriale et de son unité populaire », a martelé le général Gaïd Salah, estimant « inacceptable de manipuler les sentiments et émotions du peuple algérien ».

L’identité amazighe est un sujet sensible en Algérie, où un quart de la population, soit 10 millions de personnes, est berbérophone. Concentrés majoritairement dans la région de Kabylie (nord), les Berbères sont également présents dans le Centre, l’Est et le Grand Sud. Les nombreuses revendications, notamment culturelles et linguistiques, liées à l’identité amazighe ont été longtemps niées voire réprimées par l’Etat algérien, qui s’est construit autour de l’arabité. Le tamazight n’a été reconnu langue nationale qu’en 2002, près d’un an après de sanglantes émeutes en Kabylie (« printemps noir », 126 morts), avant d’être consacré langue officielle au côté de l’arabe dans la Constitution adoptée en 2016.

Pour MSalah Dabouz, qui a défendu plusieurs militants de la cause mozabite, communauté berbère de la vallée du M’Zab, dans le centre de l’Algérie, dont Kamel Eddine Fekhar, décédé fin mai en détention, « il est clair » que les propos du général Gaïd Salah visent le drapeau amazigh. « C’est dangereux pour l’unité nationale », a expliqué l’avocat, soulignant que « l’emblème culturel [berbère] n’a jamais été proposé comme substitution au drapeau national ». « Ahmed Gaïd Salah ne peut pas gérer l’Algérie comme une caserne, il ne peut pas empêcher les Algériens de s’exprimer librement », a-t-il ajouté.

Sur Twitter, le journaliste algérien Hamdi Baala dénonce « des propos complètement irresponsables » estimant que « l’état-major joue avec le feu ». Le compte Twitter « Journal d’El Mouradia », un porte-voix de la contestation, fustige « une grave provocation » et « un grave dérapage ». « Le caractère pacifique des manifestations les gêne », « ils veulent que les choses dégénèrent et quoi de mieux qu’un conflit Arabes-Kabyles », affirme Yacine, un utilisateur de Twitter, tandis qu’un autre, Hmida Houari, s’affirme « amazigh et algérien » et ajoute : « Je porte les deux drapeaux. »