Laurent Berger et Véronique Descacq (CFDT), en août 2013. / BERTRAND GUAY / AFP

C’est rare de voir Laurent Berger taper si fort. « La CFDT est extrêmement en colère », lâche le numéro un de la centrale cédétiste, face à un essaim de journalistes, agglutinés dans la cour de l’hôtel Matignon. Pas d’emphase, juste quelques mots âpres prononcés en deux minutes, à l’issue d’une rencontre avec le chef du gouvernement, Edouard Philippe, et la ministre du travail, Muriel Pénicaud.

Reçu, en ce mardi 18 juin, avec d’autres leaders syndicaux et patronaux pour prendre connaissance de la réforme de l’assurance-chômage, M. Berger se dit « abasourdi » devant un projet « profondément injuste ». La « politique qui est mise en place (…) n’est pas du tout à hauteur de femmes et d’hommes », commente-t-il : elle « ne prend pas en compte la réalité concrète des demandeurs aujourd’hui qui subissent la précarité ».

Les mesures qui l’indignent le plus portent sur les « conditions d’entrée » dans le régime d’indemnisation : elles vont être durcies, puisque, pour avoir droit à une allocation, il faudra travailler plus (six mois au lieu de quatre) sur un laps de temps moins long (deux ans, contre vingt-huit mois). Autre innovation, que le secrétaire général de la CFDT a du mal à avaler : la dégressivité des prestations, pour les personnes percevant des salaires élevés à l’époque où elles étaient en activité – ce qui va avoir un gros impact sur les cadres. C’est « totalement inefficace pour le retour à l’emploi », affirme M. Berger, qui estime que, au final, « on a une réforme archi-perdante pour l’ensemble des [chômeurs] ».

« Inique et inefficace »

Le plan du gouvernement aurait pu comporter des avancées, aux yeux du responsable cédétiste, avec le bonus-malus pour limiter les recours aux contrats courts, qui diminuera les cotisations des entreprises où la main-d’œuvre est stable et majorera celle des employeurs dont les effectifs tournent beaucoup. Mais le dispositif mis au point par l’exécutif est peu ambitieux, selon M. Berger, car il s’appliquera « simplement [à] sept branches professionnelles », parmi lesquelles l’hôtellerie-restauration et le secteur de la fabrication des denrées alimentaires. Il y a tout de même un élément « positif », mais c’est le « seul » : le « renforcement de l’accompagnement » des inscrits à Pôle emploi.

S’exprimant après le dirigeant de la CFDT, les représentants des autres confédérations de salariés tiennent un discours de la même eau. Avec ces dispositions « iniques », « inefficaces », « économiquement irresponsables », « moins d’un [chômeur] sur trois sera indemnisé demain », pronostique Catherine Perret, la numéro deux de la CGT. « Il n’y a que des perdants et les premiers d’entre eux sont les demandeurs d’emploi », renchérit Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière, qui mentionne, par ailleurs, une autre victime : « la négociation collective », foulée aux pieds par un exécutif bien peu respectueux des partenaires sociaux.

« Jour funeste »

« C’est un jour funeste pour l’assurance-chômage », enchaîne François Hommeril, le président de la CFE-CGC – la centrale de l’encadrement. Le syndicaliste s’en prend, sans surprise, à la dégressivité des allocations pour les travailleurs les mieux payés. Avec cette nouvelle règle, le gouvernement fait « un procès d’intention aux cadres qu’il considère être des glandouilleurs qui profitent de l’allocation-chômage pour ne pas trouver du travail ». « C’est grave. (…) C’est travestir la réalité scientifique des choses et c’est vraiment indigne de le faire au nom d’une forme de justice sociale », affirme-t-il. Prenant la parole en dernier, le représentant de la CFTC, Eric Courpotin, dénonce une logique dans laquelle « les demandeurs d’emploi sont considérés comme une variable d’ajustement financière ».

Il y a aussi du mécontentement parmi les organisations d’employeurs, à cause du bonus-malus. Une « idée un peu saugrenue », qui ne permettra pas de « juguler les contrats courts », observe François Asselin, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises. « Ça sera soit inefficace, soit, au pire, ça découragera l’emploi », prédit Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du Medef. Mais leurs critiques résonnent mollement – sans doute parce que les intéressés pensent avoir limité la casse, avec un système de modulation des cotisations circonscrit à sept secteurs et dont sont exonérées les sociétés employant jusqu’à onze personnes. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles M. Veyrier pense que les efforts sont surtout demandés aux demandeurs d’emploi : c’est sur leur dos, dénonce-t-il en substance, que reposeront les 3,4 milliards d’euros d’économies programmées de novembre 2019 à la fin 2021, puisque celles-ci seront synonymes de droits réduits.

Les syndicats protestent mais agissent, comme très souvent, en ordre dispersé. La CFDT appelle à un rassemblement le 25 juin. La CGT, de son côté, organise une mobilisation le lendemain, à l’occasion d’un conseil d’administration de l’Unédic – l’association paritaire qui gère l’assurance-chômage. Autant d’initiatives qui n’impressionneront guère le gouvernement, celui-ci étant persuadé d’avoir l’opinion avec lui sur un dossier où les premiers concernés sont peu structurés.