L’avis du « Monde » – Pourquoi pas

La sortie de Silence, l’adaptation du roman de l’écrivain catholique Shusaku Endo par Martin Scorsese, en 2016, a été l’occasion de rappeler l’existence de Chinmoku (Silence), long-métrage de Masahiro Shinoda tiré du même texte (publié en 1966), situé pendant la persécution des chrétiens japonais au XVIIe siècle, présenté en compétition à Cannes en 1971 mais resté inédit dans les salles françaises.

Lire la critique de « Silence », de Martin Scorsese : Il était une foi au Japon

On le découvre aujourd’hui dans une très médiocre restauration qui ne rend sans doute pas justice au travail du chef opérateur Kazuo Miyagawa, collaborateur de Kurosawa ou d’Ozu. Mais pas plus que les défauts propres au film de Shinoda, cette tare technique ne parvient pas à dépouiller ce premier Silence de son intérêt, qui sera d’autant plus vif que l’on aura vu le film de Scorsese dont il est comme le contrechamp (à moins que ce ne soit l’inverse).

Le rôle que tient Liam Neeson dans le film de Scorsese échoit ici à un acteur japonais, Tetsuro Tanba, grimé à rebours de la méthode de tant de cinéastes occidentaux

Les stations du martyre du jésuite portugais Sebastiao Rodrigues (ici incarné par un acteur américain, David Lampson) sont les mêmes dans les deux films : alors que le catholicisme a été mis hors la loi par le shogunat Tokugawa, le prêtre, accompagné d’un acolyte, débarque au sud de l’archipel japonais et prend contact avec une communauté clandestine. Après avoir assisté à la torture de ses ouailles, Rodrigues est finalement capturé et à son tour torturé par les forces de l’ordre qui veulent le mener à l’apostasie, matérialisée par le piétinement d’une image pieuse.

Pour venir à bout de sa résistance, le gouverneur de Nagasaki fait appel au père Ferreira, devenu moine bouddhiste sous le nom de Sawano Chuan. Le rôle que tient Liam Neeson dans le film de Scorsese échoit ici à un acteur japonais, Tetsuro Tanba, grimé à rebours de la méthode qu’employèrent tant de cinéastes occidentaux.

Inflexions de perspectives

Ce n’est qu’un exemple des inflexions de perspectives qu’offre Chinmoku. Scorsese entre dans l’univers du roman d’Endo par la porte réservée aux catholiques, Shinoda le fait par celle qu’empruntent les Japonais. Il y a dans la peinture que le cinéaste fait de la persécution des paysans et des pêcheurs catholiques et de l’esprit de sacrifice de ceux-ci un étonnement, un scepticisme qui donnent à ces séquences cruelles une dimension absurde, atroce. A l’inverse, il y a dans la mise en scène des rites politiques et pénaux du Japon d’Edo, une attention aux détails qui évoque plus la routine administrative que la représentation d’une machine infernale.

Le cœur même du récit, la crise de foi du père Rodrigues, s’en trouve ramené à un dilemme dont l’un des termes – la conviction que le martyre est la voie de la rédemption – est mis en scène comme une aberration mentale. Mais ce déséquilibre est sans doute dû autant à l’interprétation du personnage du jésuite emprisonné qu’à la lecture du metteur en scène. On ne sait comment David Lampson a décroché le rôle de Rodrigues, le seul d’importance qu’il ait jamais tenu, mais la décision de le lui confier empêche définitivement Chinmoku d’atteindre la dimension à laquelle il aspire. On pourrait inscrire les efforts de l’acteur à peindre l’angoisse métaphysique au programme des écoles d’art dramatique, à la rubrique « à ne pas faire ».

Silence de Masahiro Shinoda : bande-annonce
Durée : 01:22

Film japonais de Masahiro Shinoda (1971). Avec David Lampson, Don Kenny, Tetsuro Tanba, Mako (2 h 09). www.carlottavod.com/silence