Le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel lors d’un sommet informel des chefs d’Etat ou de gouvernement de l’Union européenne, à Sibiu (Romanie), le 9 mai. / OLIVIER HOSLET / AFP

Si l’union monétaire a su renforcer ses institutions depuis la création de l’euro, les divergences de philosophie économique restent un obstacle aux futures réformes, estime l’économiste allemand Markus Brunnermeier, professeur à l’université de Princeton. Présent à Sintra (Portugal), au forum de la Banque centrale européenne, qui s’est tenu du lundi 17 au mercredi 19 juin, il estime que les deux pays pourraient trouver un terrain d’entente fertile sur le financement de la transition écologique.

Près de 70 ans après le début de la construction européenne, comment se fait-il que la France et l’Allemagne aient encore tant de mal à se comprendre ?

Cela fait des décennies que ces deux pays ont, à bien des égards, des visions et une culture économiques très différentes. Il est difficile de changer cet héritage. D’autant que, si l’on considère le grand public, trop peu d’initiatives permettent de réduire ce fossé. La France et l’Allemagne n’ont pas de presse commune, par exemple. En conséquence, les deux peuples lisent des presses différentes, offrant des lectures de l’économie divergentes, sans contribuer à réduire les divergences… Nous avons besoin de médias économiques franco-allemands.

Quels sont les points fondamentaux de désaccord ?

Si l’on schématise, les Allemands accordent une importance fondamentale au respect des règles, tandis que les Français privilégient une lecture discrétionnaire des règles. Les seconds accordent une grande importance à l’Etat central, qu’ils estiment capable de faire beaucoup, tandis que les premiers privilégient la décentralisation – depuis la seconde guerre mondiale, ils se méfient d’un Etat concentrant trop de pouvoirs.

A Berlin, honorer ses dettes est considéré comme une question de morale, et faire défaut est perçu comme un grand échec. A Paris, la vision de la dette est plus souple, et plutôt proche de la conception anglo-saxonne – aux Etats-Unis, faire faillite n’est pas dramatisé : on estime même que l’échec permet d’apprendre des leçons, de mieux réussir par la suite.

Comment ces divergences se sont-elles exprimées durant la crise des dettes souveraines, entre 2010 et 2012 ?

L’Allemagne privilégiait l’argument de l’aléa moral, jugeant que laisser un pays qui n’a pas su tenir ses comptes publics faire faillite est la meilleure façon d’éviter que d’autres reproduisent les mêmes erreurs, même si cela peut se révéler douloureux, aussi, pour ses partenaires. De fait, une partie de l’élite allemande estimait qu’il valait mieux laisser la Grèce, qui avait maquillé ses comptes publics, faire défaut.

La France, au contraire, insistait sur l’importance du partage des risques dans l’union monétaire, et la solidarité. Paris et Berlin ont néanmoins réussi à trouver un terrain d’entente, et à s’accorder sur un plan de sauvetage d’Athènes. Comme souvent, l’Europe fait des progrès pendant les crises.

L’Allemagne d’Angela Merkel traîne des pieds face aux réformes de la zone euro proposées par Emmanuel Macron. Au fond, nos voisins ont-ils encore envie d’Europe ?

Oui, mais pas forcément de celle défendue par l’exécutif tricolore. Les réformes proposées par Emmanuel Macron correspondent à une vision typiquement française, à savoir très centralisée, où il faudrait forcément tout concentrer à Bruxelles : un budget commun, un actif financier européen… Les Allemands, bien plus habitués au fédéralisme des institutions, ne se retrouvent pas dans cette approche. L’embryon de budget commun auquel ils ont souscrit demeure éloigné des ambitions d’Emmanuel Macron.

Comment progresser ensemble malgré tout ?

En cessant de s’accrocher à tout prix à l’idée d’un grand budget de la zone euro pour favoriser, par exemple, des investissements communs en faveur du financement de la transition climatique, soutenant des projets transfrontaliers. Là, il y a une porte ouverte prometteuse. Les Verts allemands ont gagné en puissance lors des élections européennes [du 26 mai] et cela aura un effet d’entraînement sur les autres partis. Les initiatives en faveur de l’environnement trouveront un écho favorable. Avancer sur ce terrain a de bien meilleures chances de réussite.