De la photo documentaire à l’image plasticienne, le festival Les femmes s’exposent a lieu à Houlgate, dans le Calvados, en Normandie, jusqu’au 31 août. Axé sur quatorze expositions à ciel ouvert et deux projets pédagogiques, il met en lumière le travail, trop souvent resté dans l’ombre, de femmes photographes. Un constat dressé par la présidente et fondatrice du festival, Béatrice Tupin, qui nous explique sa démarche.

Portrait d’Oumar Ball, sculpteur (République islamique de Mauritanie) : malgré la pression sociale, Oumar – qui représente des ombres – a exposé à la Biennale de Dakar et continue de sculpter des oiseaux géants dans la banlieue de Nouakchott, en attendant le bon moment pour prendre son envol. / SANDRA REINFLET / FESTIVAL LES FEMMES S’EXPOSENT, 2019

Pourquoi avoir fondé ce festival il y a deux ans ?

L’initiative du festival part d’une autocritique : chef du service photo dans un grand
hebdomadaire d’informations, j’aurais dû faire une place plus importante aux photographes femmes. Créer ce festival est une forme de réparation et une manière de faire bouger les lignes en sensibilisant davantage les services photo des médias, mais aussi les agences et les festivals. L’image est aujourd’hui centrale : les photographes nous donnent à voir le monde qui nous entoure. Avoir une pluralité de regards est une responsabilité collective ; le monde de la photo doit être progressiste, et aller chercher de manière volontariste les photographes femmes pour qu’elles puissent produire et développer leur travail.

Selon vous, le travail des femmes photographes reste « moins visible dans les médias, les expositions, les prix et les festivals »…

Si la difficile articulation des temps de vie professionnelle et personnelle compte parmi les facteurs qui expliquent l’existence d’inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes, les autres causes de discriminations sont souvent passées sous silence. Face aux revendications d’égalité, on entend sans cesse que le seul critère de sélection doit être le « talent », la qualité du travail, et non celle ou celui qui en est à l’origine. Cet argument balaye d’un revers de la main la réalité qui préside aux disparités et est à l’origine de la mise à l’écart d’une large majorité des femmes dans les domaines artistiques et culturels.

De la photo documentaire à l’image plasticienne, le festival Les femmes s’exposent représente tous les genres et toutes les tendances. / OUKA LEELE / AGENCE VU / FESTIVAL LES FEMMES S’EXPOSENT, 2019

Les femmes photographes restent moins visibles, car moins aidées, moins programmées, moins récompensées, moins payées, etc., un cercle vicieux dans un milieu historiquement dominé par le masculin et de plus en plus concurrentiel. Le festival a vocation à montrer qu’il y a de nombreuses femmes photographes talentueuses qui exercent le métier, depuis de nombreuses années parfois, et qui restent dans l’ombre.

Elles sont donc encore largement sous-représentées ?

Moins d’un quart des photographes des grandes agences sont des femmes. Elles gagnent moins bien leur vie que leurs confrères. Seulement 25 % de la programmation des événements photographiques mettent en avant les travaux des femmes photographes. Elles sont donc insuffisamment présentes. Pourtant, elles sont majoritaires à la sortie des écoles photo.

« Le Sacre du printemps », d’Igor Stravinsky, chorégraphie de Pina Bausch : ici, les premiers danseurs et le corps de ballet, orchestre de l’Opéra national de Paris. / AGATHE POUPENEY / FESTIVAL LES FEMMES S'EXPOSENT, 2019

Dans le cadre du festival, quels sont vos critères de sélection pour choisir les candidates ?

La sélection faite par la petite équipe du festival est volontairement éclectique, en premier lieu pour représenter la diversité des pratiques et sujets réalisés par les femmes photographes professionnelles. Le festival a pour ambition de rayonner au-delà du seul microcosme de la photographie, les sujets doivent être abordables par un public familial. La sélection se fait lors de lectures de portfolios ou lors des rencontres avec les agences et agents ou lors de candidatures spontanées. Nous sommes aussi très vigilantes sur les réseaux sociaux et suivons de près les sujets en cours ou fraîchement réalisés.

Les expositions sont toutes en extérieur, à travers la ville d’Houlgate, dans ses jardins, autour de l’église et sur la plage, et ce durant trois mois dont les deux mois de vacances scolaires, afin de toucher tant les personnes de la région que les vacanciers de passage. Le fait d’exposer dans l’espace public nous donne certaines contraintes (pas de nudité, d’images violentes, etc.), mais c’est aussi l’opportunité de toucher des personnes qui ne poussent pas forcément la porte des musées et des galeries. Le festival a pour objectif d’apporter une diversité de regards et de thématiques. Il remet également quatre prix.

Prix Nikon : un manifestant portant un ciré jaune s’essuie le visage à la suite d’une vague de gaz lacrymogène aux alentours de l’Arc de triomphe lors de l’acte III du mouvement des « gilets jaunes », le 1er décembre 2018. / EMMA PROSDOCIMI / FESTIVAL LES FEMMES S’EXPOSENT, 2019

En parallèle, vous menez des projets pédagogiques autour de l’image…

Cette année, la photojournaliste Axelle de Russé est venue plusieurs journées dans une classe de CM1-CM2 pour parler de son métier. Les élèves ont d’abord appris à
cadrer et à jouer avec la lumière, ont monté un studio, joué avec le soleil et leurs ombres. Puis ils ont dessiné dans l’obscurité avec des lampes de poche : ça s’appelle le « light painting ». Enfin, les élèves sont partis en reportage et ont travaillé sur leur environnement ; onze de leurs photos sont exposées. 

Le Festival Les femmes s’exposent mène aussi des projets pédagogiques, dont l’atelier CM1-CM2. / AXELLE DE RUSSÉ / FESTIVAL LES FEMMES S’EXPOSENT, 2019

Le second projet réunit six jeunes apprentis reporters, arrivés à Houlgate par l’aide sociale à l’enfance après des parcours de vie difficiles. Malgré leur jeune âge, ils ont connu la guerre, la maladie, des traversées mettant en péril leur vie, des maltraitances ou trop peu de bienveillance. Pour cette deuxième année successive, le festival leur offre un apprentissage et un moyen d’expression à travers la photographie : Florence Levillain, photographe professionnelle, est venue les initier au reportage. Chaque jeune a rencontré un commerçant en lien avec un métier de bouche, un savoir-faire : douze photos grand format sont exposées pendant toute la durée du festival.