L’artiste japonaise Takako Saito. / Arthur Péquin

Elle pourrait être une chamane qui jamais n’a voulu fuir sa montagne sacrée, ou une enfant qui, si attentive à percevoir le sel de la vie, refuse à tout prix de grandir. Takako Saito, 90 ans bien vaillants, est un peu tout cela. Elle est artiste, surtout. Avec derrière elle six décennies d’une carrière joliment remplie, de sacrées rencontres, et pourtant jamais aucune exposition en France !

Le CAPC de Bordeaux a eu l’excellente idée de faire enfin venir dans l’Hexagone ce singulier petit bout de femme, et il ne saurait le regretter : sa rétrospective, faite de petits riens, est une leçon magistrale. Pour les historiens de l’art, qui laissent parfois échapper de si belles choses par les mailles du filet ; pour les regardeurs, qui prennent une leçon de concentration zen ; et pour les enfants qui, à coup sûr, sortiront de l’exposition avec une folle envie de créer du soir au matin, tout en pratiquant à fond la politique du zéro déchet.

Car Takako Saito n’a besoin de quasiment rien pour réaliser son œuvre. Ses matières premières, elle les trouve dans les domaines les plus quotidiens, adepte nippone du Parti pris des choses, du poète Francis Ponge. Dans sa besace de plasticienne, on peut donc déceler : des feuilles d’automne et des fleurs séchées, du jus de betterave ou des bougies, des coques de pistaches et des brindilles, des pierres de tout acabit et des fèves toutes teintes, du charbon, des pelures d’ail ou d’oignon… Elle collecte toutes ces modestes choses, les range dans de petites cases comme dans un cabinet de curiosités, puis réalise avec elles des tableaux, des sculptures, autant de microcosmes.

Poésie minimale

Il y a dans cet art beaucoup de Fluxus, mouvement dont elle était proche dans les années 1960 et qui s’est beaucoup nourri du Japon (et réciproquement). Proche de deux de ses fondateurs, Robert Filliou et surtout George Brecht, elle s’est d’ailleurs installée à Düsseldorf, un des hauts lieux de cette école de liberté, à la fin des années 1970. Mais on y lit surtout une poésie minimale qui convoque tous les éléments, l’air, l’eau, le bois, sans aucune grandiloquence, comme a pu le faire, au milieu du siècle passé, l’immense Américain Joseph Cornell dans ses mises en boîte surréalistes. Au même moment que sa consœur Yoko Ono, autre « Fluxus girl », elle imagine des « musiques silencieuses », cartes blanches où elle nous invite juste à souffler sur les pistils d’un pissenlit. Et cela suffit.

Toujours, chez elle, il n’est question que de jeu. D’où l’engouement rencontré par le public enfant.

Le CAPC rappelle aussi les performances que Takako Saito réalisait, vêtue de robes constituées de dizaines de cubes de papier blanc, qu’elle cousait elle-même avant de les offrir en sacrifice au fleuve. Ou encore les tableaux participatifs qu’elle inventait, en posant sur un tableau noir toutes sortes de petits objets, triangles, coquillages, jouets, qu’elle avait aimantés, et qu’elle proposait au visiteur de réorganiser selon son bon désir, et même de signer. Toute une salle est aussi consacrée à ses labyrinthes de bois où elle s’amuse à perdre des billes.

Mais ce sont vraiment ses petits objets haïku qui emportent la mise. Elle a par exemple bâti, pour les souris, une mini-école où apprendre les échecs, soit une petite cage équipée de minuscules tables-échiquiers. Toujours, chez elle, il n’est question que de jeu. D’où l’engouement rencontré par le public enfant. Dans son installation You and me Shop, tout un chacun peut venir faire son « marché », en choisissant sur une alchimique échoppe toutes sortes de petits riens à tomber de beauté : dans une peau d’avocat séché, on peut ainsi collecter écorces d’oranges, coques de cacahuètes, bogues de châtaignes ou pétales de rose. Et tout remporter chez soi pour à son tour créer, fort du slogan asséné par l’irrésistible artiste : « C’est celui qui s’est le plus amusé qui a gagné. »

Takako Saito, jusqu’au 22 septembre au CAPC, 7, rue Ferrere. Capc-bordeaux.fr

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec Bordeaux-Métropole.