Christian Vander, en concert à Eysines (Gironde), en mai 2009. / Marie-Emmanuelle Brètel

Dans le livret de Zëss, composition qui donne son titre au nouvel album du groupe Magma, le journaliste et musicien Bruno Heuzé en situe la genèse à 1977. De premiers concerts à partir de 1979, la composition trouva une forme plus développée en 1981, notamment lors d’une quinzaine de concerts à Bobino, à Paris, dont sera tiré un premier enregistrement. Elle a été aussi jouée en acoustique avec Offering ou Les Voix de Magma. La voici, dans sa version « définitive » selon son créateur, Christian Vander, « et monumentale ». En plus de membres du groupe, c’est avec le City of Prague Philharmonic Orchestra, dirigé par Adam Klemens, qu’a été enregistrée cette longue pièce de près de quarante minutes.

Définitive, par plusieurs ajouts et des choix dans l’interprétation. Ainsi, passée l’introduction instrumentale, sur une base au piano et chœurs, la partie déclarative a été révisée et complétée. Elle est en français, ce qui n’est pas une première dans le répertoire des compositions du batteur, chanteur et pianiste, mais reste assez rare, le kobaïen, langue musicale inventée par Vander pour rendre au mieux son propos artistique, étant majoritaire.

Maître des sons

« A l’époque, ce texte est venu du français. Il m’évoquait beaucoup d’images. » Pour invoquer les maîtres de la vérité, des vents, des eaux, des furies, des passions, des haines, du temps… Et le maître des sons que l’on découvre ici. « Le texte avait surgi comme un éclair, une fulgurance. Je l’avais noté sur une enveloppe, que j’ai égarée. J’étais sûr de ce maître des sons, je le trouvais très beau. Quand j’ai retravaillé le texte, soudain, il m’est revenu, même si sans doute, ce n’est pas tout à fait le même. »

Un tempo légèrement plus lent a été choisi, « qui nous a permis de mieux travailler sur les mélodies, de les rendre plus belles ». Le final a été étendu, « sorte de cri d’ouverture, qui n’aboutit pas, les derniers soubresauts ». La partie de batterie, qui comme lors des concerts n’est pas interprétée par Christian Vander, a été confiée au Suédois Morgan Agren. « La difficulté c’est de tenir, sur la durée, la régularité de la frappe avec toutes ses nuances, en particulier dans le phrasé de main gauche à la caisse claire. Morgan l’a réalisé magnifiquement, avec des subtilités dans la frappe, un aspect swing plus abouti. » Cela valorise, dans cette pièce, l’aspect en suspension de la musique, une fluidité en rebond avec l’assise des accords au piano, joués ici par Simon Goubert, par ailleurs batteur.

ZESS - Le Jour Du Néant (EPK)
Durée : 11:23

Christian Vander explique qu’il a longtemps hésité à revenir à Zëss pour un enregistrement en studio. « C’est une pièce qui porte en sous-titre « Le Jour du néant ». J’avais le sentiment que, par son thème, il ne pourrait plus rien y avoir après, pas d’autres compositions. Et puis Stella [Vander, qui a rejoint le groupe comme chanteuse au début des années 1970], qui insistait depuis des années pour qu’on l’enregistre, m’a convaincu qu’il fallait le faire et en plus avec un Philharmonique. » Pour lequel le saxophoniste Rémi Dumoulin a écrit un arrangement de vents et de cordes. « Pour des questions financières, nous n’avions qu’une journée avec le Philharmonique, et si l’on échouait, c’était de l’argent engagé pour rien, de l’énergie, un coup au moral. On a eu la chance de travailler avec des musiciens extraordinaires, et cela donne une très belle version. »

Coltrane importance fondatrice

Celle-ci trouve son plein épanouissement dans la sophistication d’écriture d’échanges entre les flûtes, clarinettes et les cuivres, le remplacement par une longue séquence orchestrale, durant le quatrième mouvement Streüm Ündëts Wëhëm, d’une partie jouée à la guitare lors des concerts, l’accord des cordes avec les poussées chorales. Zëss, qui vient s’ajouter aux compositions au long cours de Magma, dont Rïah Sahïltaahk ou Félicité Thösz, les deux trilogies qui rassemblent d’une part Theusz Hamtaahk, Ẁurdah Ïtah et Mekanïk Destruktïw Kommandöh et d’autre part K.A., Köhntarkösz et Ëmëhntëhtt-Ré, constitue aussi comme un condensé de nombreuses approches de Vander.

On y retrouve la forme opératique, le déploiement rythmique et le dialogue entre des ambiances sombres, tendues et d’autres qui suggèrent la lumière, l’aérien. Et aussi les références au gospel ou à la soul music, et à l’importance fondatrice du saxophoniste John Coltrane, mort en 1967, plus particulièrement lors de l’intervention vocale improvisée de Vander : « Je devais avoir 11 ans [il est né en 1948], quand j’ai plongé directement dans sa musique. Et depuis, il m’accompagne. Quand j’ai envie d’apprendre quelque chose, j’écoute toujours John Coltrane. »

S’il est trop coûteux de partir en tournée avec un grand orchestre, Magma mettra toutefois Zëss au programme de son concert en trois parties prévu, mardi 26 juin, à la Philharmonie de Paris. Avec des chœurs, et un arrangement pour une section de vents, à nouveau par Rémi Dumoulin, synthèse de son travail pour le disque.

Zëss, 1 CD Seventh Records/Bertus (parution le 28 juin). Concert à la Philharmonie, grande salle Pierre-Boulez, mardi 26 juin, à 20 h 30. Dernières places disponibles à 38 €. Tournée des festivals d’été, puis tournée au Japon et en Europe à partir de septembre, date et lieux sur le site Magmamusic.org.