Gianni Infantino et Fatma Samoura, le 5 juin 2019, à Paris. / Alessandra Tarantino / AP

Les intrigues et autres manoeuvres politiciennes à la Fédération internatione de football (FIFA) auraient pu inspirer les scénaristes de la série « Under the Dome », dans laquelle une communauté, coupée du monde sous une cloche géante, va progressivement se déchirer. Dernier épisode en date : la FIFA et la Confédération africaine de football (CAF) ont officialisé, jeudi 20 juin, la nomination comme « déléguée générale de la FIFA pour l’Afrique » de la Sénégalaise Fatma Samoura, secrétaire générale de la Fédération internationale depuis 2016.

L a CAF est plongée dans la crise depuis que son président, le malgache Ahmad Ahmad, a été interpellé et auditionné à Paris, le 6 juin, par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, et a été accusé de harcèlement sexuel.

« Mission exceptionnelle et temporaire »

A compter du 1er août et pour une durée de six mois « renouvelable avec l’accord des deux organisations », Mme Samoura sera au chevet de la CAF et de son président, également visé par une enquête du comité d’éthique de la FIFA. Sa mission « exceptionnelle et temporaire » consiste à remettre de l’ordre à la CAF, « d’évaluer la situation actuelle au sein de la confédération et de contribuer à l’accélération du processus de mise en œuvre des réformes en cours, destiné à assurer à la CAF un fonctionnement de manière transparente, efficace et selon les standards de gouvernance les plus élevés ».

L’ancienne diplomate à l’ONU conservera toutefois son poste de secrétaire générale de la Fédération internationale et « pourra déléguer ses fonctions au sein de l’administration de la FIFA ». Dans les faits, ses responsabilités seront attribuées à la garde rapprochée de M. Infantino, réélu le 5 juin, et composée de ses anciens collaborateurs à l’Union des associations européennes de football (UEFA).

Une « exfiltration par le haut? »

Plusieurs sources, contactées par Le Monde, voient dans cette nomination la volonté de M. Infantino « d’exfiltrer par le haut Mme Samoura », de plus en plus isolée depuis qu’elle a été critiquée dans un rapport interne et confidentiel réalisé, en 2018, par un proche conseiller du président de la FIFA.

Alors que l’état-major de la FIFA est déjà chamboulé par le départ vers le Milan AC du secrétaire général adjoint Zvonimir Boban, certains observateurs avisés de l’instance décrivent la manoeuvre comme un « moyen pour M. Infantino, qui aura les mains libres, de se débarrasser de sa numéro 2 en déguisant son exfiltration en mission de sauvetage de la CAF. »

D’autres fins connaisseurs de la fédération estiment que M. Infantino souhaite « prendre le contrôle de la CAF » sans renverser dans l’immédiat son allié Ahmad Ahmad, qu’il avait contribué à porter à la tête de la Confédération africaine, en 2017, face à l’inamovible camerounais Issa Hayatou, au pouvoir durant trois décennies.

A Zurich, au siège de la FIFA, on assure que M. Infantino, qui a été réélu sur le thème de la « transparence », souhaite « nettoyer la maison », « taper du poing sur la table » et « remettre de l’ordre à la CAF » en mettant en place une « sorte de comité de normalisation » Or, statutairement, les confédérations continentales ne sont pas membres de la FIFA. Laquelle ne peut intervenir qu’en cas de crise politique ou d’ingérence gouvernementale au sein des 211 fédérations nationales. En ce sens, la décision de M. Infantino est sans précédent.

L’opposition d’Aleksander Ceferin, le président de l’UEFA

Dans un courrier envoyé jeudi à M. Infantino, que Le Monde a consulté, le président de l’UEFA Aleksander Ceferin s’est demandé si la désignation de Mme Samoura était « conforme » aux statuts de la FIFA et de la CAF. Contactée, la FIFA « ne fait pas de commentaire » mais renvoie aux « arguments juridiques » expliqués dans sa lettre par M. Infantino. La missive a circulé sur les réseaux sociaux jeudi.

Invité à donner son accord à cette nomination, à l’instar des autres présidents de confédération, « qui eux étaient déjà avertis », selon la FIFA, M. Ceferin ne l’a pas approuvée. Ses réticences ont été motivées par le fait qu’aucun document n’a attesté de la volonté de la CAF de s’en remettre à l’expertise de Mme Samoura. Par ailleurs, le patron du foot européen pointe un « possible conflit d’intérêt » dans la mesure où la Sénégalaise conserverait son poste de numéro 2 de la FIFA tout en oeuvrant auprès de la CAF. D’autant que M. Infantino a rencontré Mme Samoura grâce à M. Ahmad, en 2016, lorsque c’était dernière était résidente coordinatrice l’ONU à Madagascar.

« Couteau sous la gorge »

Enfin, M. Ceferin estime que « la deadline donnée » par M. Infantino pour lui répondre est trop courte. « C’est inconcevable d’envoyer une lettre au milieu de la nuit (reçue à 1 h 50 du matin, dans la nuit de mercredi à jeudi) et d’espérer une réponse de ma part avant 10 h 30 le même jour », écrit le président de l’UEFA.

A Nyon, au siège de l’UEFA, on ironise sur l’étrange timing imposé par M. Infantino. « On nous a mis le couteau sous la gorge, dit-on au sein de la Confédération européenne. On n’avait pas assez de temps pour analyser la proposition dans le détail sur le plan juridique. »

M. Infantino s’est donc passé de l’accord de l’UEFA pour nommer sa secrétaire générale. Selon la FIFA, Mme Samoura sera basée au Caire, au siège de la CAF. Très loin de Zurich.