Une peinture murale représentant Mohamed Salah, le 17 juin au Caire. / KHALED DESOUKI / AFP

Sur les affiches publicitaires géantes qui tapissent les grandes artères du Caire, la couleur rouge de l’équipe nationale et son joueur vedette, l’attaquant de Liverpool Mohamed Salah, sont omniprésents. Pendant un mois, du 21 juin au 19 juillet, l’Egypte va vivre à l’heure de la Coupe d’Afrique des nations (CAN). Depuis que le pays a été choisi, en janvier, pour remplacer au pied levé le Cameroun, les autorités se mobilisent pour que le tournoi soit une réussite. Prestige et publicité positive : la CAN est une vitrine pour l’Egypte du président Abdel Fattah Al-Sissi et le ballon rond, le meilleur outil de soft power dont il dispose.

« La CAN est une opportunité de montrer la toute-puissance et la capacité d’organisation de l’Egypte et de remettre le pays sur la carte pour relancer l’économie et le tourisme. L’enjeu est aussi sécuritaire : montrer qu’elle peut organiser un tournoi majeur sans heurt. Tout a été mis en place pour donner l’apparence du retour à la normale », analyse Suzanne Gibril, sociologue à l’Université libre de Bruxelles. Cette édition de la CAN, la cinquième que l’Egypte organise, survient à un moment charnière. Six ans après son arrivée au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat militaire, le président Sissi veut tourner une fois pour toutes la page de la révolution de 2011 et effacer le souvenir des turbulences politiques et économiques alors que la région, notamment la Libye et le Soudan, est encore déstabilisée.

« Depuis toujours, le football est utilisé comme façon de divertir le peuple, de le détourner des affaires d’Etat et de contrôler ce qui se passe au niveau sociétal »

La dimension acquise par la CAN aiguise ses ambitions. Désormais jouée à 24 pays, avec des footballeurs comme l’Egyptien Mohamed Salah ou le Sénégalais Sadio Mané, qui évoluent dans des grands clubs européens, elle pourrait battre des records d’audience. « C’est un à deux mois de publicité positive pour l’Egypte en Afrique et au-delà », explique le sociologue Saïd Sadek. Or, le président Sissi affiche sa volonté de redonner un rôle de premier plan à l’Egypte sur le continent. Coïncidant avec sa présidence de l’Union africaine pour un an, l’organisation de la CAN est une autre façon d’y assurer le rayonnement de l’Egypte. « Après avoir perdu pied pendant des décennies en Afrique, l’Egypte essaie de se réintroduire sur le continent en pays modèle, avec une expérience réussie en matière de développement et de construction étatique », explique Gamal Sultan, politologue au centre Al-Ahram.

« Sur le bon chemin »

Mais l’enjeu est aussi, avant tout, national. « Depuis toujours, le football est utilisé comme façon de divertir le peuple, de le détourner des affaires d’Etat et de contrôler ce qui se passe au niveau sociétal », analyse Suzanne Gibril. Gamal Abdel-Nasser, Anouar El-Sadate et surtout Hosni Moubarak, resté au pouvoir trente ans, ont misé sur le football pour renforcer leur pouvoir et améliorer leur image. M. Sissi ne déroge pas à la règle. Quelques jours avant le lancement de la CAN, il est allé rencontrer l’équipe nationale, avec les caméras de télévision.

Le président Abdel Fattah Al-Sissi rencontre l’équipe nationale de football égyptienne, le 15 juin au Caire. / STRINGER / AFP

« Le football est un sport très populaire en Egypte, surtout chez les jeunes, qui représentent 60 % de la population. Or, M. Sissi a un gros problème avec eux car ils sont frustrés par le manque de libertés et d’emplois », explique Saïd Sadek. Alors que le gouvernement s’apprête à opérer, début juillet, de nouvelles coupes dans les subventions publiques, dernier acte de mesures d’austérité économique qui ont durement affecté la population, la CAN pourrait aider à détourner un temps l’attention. « Et, si l’équipe égyptienne gagne, cela va donner du prestige à M. Sissi : il va pouvoir dire : Regardez nous sommes sur le bon chemin, l’Egypte se stabilise” », poursuit le sociologue.

L’atout-clé du président Sissi est le joueur star, Mohamed Salah, adulé de tous, sur lequel il a beaucoup misé pour renforcer son image. Déterminé et battant, généreux et fair-play, pieux et consensuel : il présente l’attaquant de Liverpool comme un modèle de l’Egypte qu’il entend bâtir. En avril, le porte-parole du ministère des affaires étrangères Ahmed Abou Zeid l’avait même qualifié d’« icône du “soft power” égyptien ».

Un public trié sur le volet

Les autorités du Caire ont bien compris en quoi le football peut être un incroyable outil de communication. Certains pointent toutefois le manque d’investissements dans ce sport, et les freins mis à son développement pour qu’il en soit réellement ainsi. « L’Egypte veut développer son “soft power” mais veut aussi le tout-sécuritaire, deux choses qui entrent en conflit. La sécurité prend le dessus sur tout. C’est la même chose dans les productions télévisées, qui sont devenues aseptisées et ineptes à force de censure », estime la journaliste Ranyah Sabry.

Des supporteurs brandissent le portrait de Mohammed Salah, le 9 juin au Caire. / Amr Nabil / AP

Les matchs en Egypte se jouent à huis clos depuis des émeutes entre clubs d’ultras à Port-Saïd, en 2012, qui ont fait 72 morts. Ceux de la CAN risquent d’être réservés à un public trié sur le volet, du fait du prix élevé des tickets et de l’obligation faite d’obtenir au préalable une carte de supporteur, un moyen pour les services de sécurité d’en écarter certains. « La qualité du football égyptien ne cesse de se dégrader, déplore Mohamed Naïm, un politologue indépendant. Moh Salah est un cas exceptionnel qui équilibre le reste. Les joueurs ne font plus d’efforts car ils n’ont plus personne qui les regarde et leur demande des comptes. Le football égyptien, comme tout le foot africain, se détériore par manque d’investissement. »