« Ici à la Cartoucherie, on est envahi par la nature. On aimerait qu’elle grignote des espaces à l’intérieur de la ville toute proche. » Olivier, 21 ans, improvise un prologue. Une façon d’immerger le spectateur et d’enraciner le propos de la pièce Zone à étendre dans le décor naturel du complexe théâtral de la Cartoucherie, cerné par le bois de Vincennes.

Ce jeudi 20 juin, ils sont sept apprentis comédiens, issus des conservatoires ou du Cours Florent à Paris, à répéter la pièce écrite par la dramaturge Mariette Navarro. Le récit d’une fuite collective, depuis la ville jusque sous les branchages d’une forêt où l’idéal d’un retour à la terre se heurte aux réalités. Celles de la vie communautaire mais aussi de la nature souveraine.

Leur interprétation, en forme de déambulation dans la clairière de la Cartoucherie, est encadrée par le comédien Sébastien Dalloni, membre de l’AFFUT, l’association des élèves et anciens élèves des écoles supérieures francophones de théâtre. Cet atelier tout-terrain « capte quelque chose de différent pour tous ceux qui sont habitués aux salles noires », résume le récent diplômé de l’ESCA (l’École Supérieure de Comédiens par l’Alternance du Studio d’Asnières).

Dimanche 23 juin, cette troupe éphémère aura l’occasion de restituer le résultat de sa semaine de travail parmi les spectacles programmés dans le cadre du Festival des écoles du théâtre public. Créé à l’initiative du metteur en scène François Rancillac, directeur du Théâtre de l’Aquarium – l’une des cinq structures de la Cartoucherie – l’événement a inauguré, samedi 15 juin, sa dixième édition. Chaque année, plusieurs établissements francophones viennent y présenter le spectacle de sortie de leur promotion diplômée.

« Une carte de visite »

Derrière ses grands volets jaunes, le théâtre de l’Aquarium renferme une histoire atypique. D’ancienne poudrière militaire à l’état de friche, il est devenu, en 1973, le terrain de jeu et d’exploration de la troupe de l’Aquarium (formée autour du metteur en scène et réalisateur Jacques Nichet) et de son théâtre maoïste qui s’installe dans sa nef. Pour François Rancillac, « ce lieu chargé d’utopie post-68 » était donc tout désigné pour accueillir les premiers pas sur des planches professionnelles de ces élèves qui arrivent pour la plupart au bout de leur cursus.

Le temps de deux semaines et d’une petite trentaine de représentations, l’Aquarium, épaulé par ses voisins du Théâtre de l’Épée de Bois et de l’Atelier de Paris, donne un coup de jeune à sa programmation. « J’ai toujours été passionné par la question de la transmission, explique François Rancillac. Ce festival, c’est l’occasion de mettre la pédagogie du spectacle vivant dans la lumière. »

Pour l’ancien co-directeur de la Comédie de Saint-Étienne (2002-2009), son festival représente à la fois un « un nouveau contexte de création et une carte de visite » pour ces apprentis comédiens. Car en plus de faciliter des rencontres artistiques entre les élèves des différentes écoles, l’événement permet surtout aux metteurs en scène, réalisateurs et agents parisiens de découvrir, condensés en un lieu unique, les talents de demain. « Un gain de temps génial, en seulement quinze jours », a glissé une directrice de casting à François Rancillac.

Animation sonore et images enregistrées

L’organisation du festival, gratuit et non subventionné, est l’affaire de tous. De l’équipe de l’Aquarium comme des écoles, qui partagent les frais de communication et de déplacement.

Pour cette dixième édition après laquelle le rideau pourrait définitivement tomber en raison d’un changement de direction imminent, François Rancillac a « offert [son] cadre » à sept écoles.

Parmi elles, Les Teintureries, l’École supérieure de théâtre de Lausanne. Une première participation pour l’institution suisse qui a commandé un spectacle au collectif francilien, Das Plateau. Écrit par Jacques Albert, Comme à la maison met en scène six comédiens dans un commissariat où se télescopent les questions du racisme structurel et du mal-être policier.

Grâce à un dispositif scénographique qui mêle jeu de plateau, animation sonore et projections d’images enregistrées, la pièce justifie son titre en « mélangeant les situations intimes et professionnelles d’un groupe de jeunes flics aux interconnaissances très fortes», explique sa co-metteuse en scène, Céleste Germe.

Une fable poétique

Également à l’affiche, l’ESCA du Studio d’Asnières proposera une pièce écrite et mise en scène par Frédéric Sonntag. Inspiré du dernier vers d’un poème de Chateaubriand, Moi de vos charmes seuls j’entretiens les déserts jettera un pont avec la pièce de Mariette Navarro en interrogeant le rapport scène/salle et les questions de désobéissance civile et d’urgence écologique. Sa représentation, en partie en extérieur, sera l’occasion d’« un moment de visibilité en direction du public et des professionnels pour ces jeunes artistes qui irrigueront bientôt le paysage théâtral», se félicite la directice adjointe de l’école, Tatiana Breidi.

Cette année encore, le festival s’ouvre à l’échelon inférieur en invitant des classes préparatoires aux écoles supérieures. Ici, celle de l’Académie de l’Union de Limoges, intégralement destinée aux aspirants comédiens d’Outre-mer pour faciliter leur insertion dans les écoles nationales d’art dramatique où ils sont sous-représentés.

La promotion 2019, la toute première à en sortir, jouera une pièce écrite et mise en scène par le Réunionnais Paul Francesconi. Sous la forme d’une fable poétique, Cargo s’inspire d’un véritable rituel originaire de la Polynésie pour dépeindre une île qui « s’étiole entre ceux qui veulent dépasser leur horizon et les autres, attachés à leurs traditions », précise Jean Lambert-Wild, directeur de l’Académie de l’Union.

Jérémy Pellet

Festival des écoles du théâtre public. Jusqu’au 30 juin à la Cartoucherie de Vincennes. Entrée gratuite (sur réservation).www.theatredelaquarium.net 01.43.74.99.61

« Comme à la maison » de Jacques Albert, avec la troupe des Teintureries. Les 21, 22 et 23 juin au Théâtre de l’Aquarium.

« Moi de vos charmes seuls j’entretiens les déserts » de Frédéric Sonntag, avec la troupe de l’ESCA. Les 27, 28, 29 et 30 juin au Théâtre de l’Épée de Bois.

« Cargo » de Paul Francesconi, avec la troupe de l’Académie de l’Union. Les 27, 28, 29 et 30 juin au Théâtre de l’Aquarium.