A Téhéran, le 24 juin. / Ebrahim Noroozi / AP

Spécialiste de la diplomatie, notre journaliste Marc Semo a répondu aux questions des internautes au sujet de la crise entre Iran et Etats-Unis.

Noirceuil : J’ai vu des déclarations de la Russie et de la Chine favorables à l’Iran. Y a-t-il une constitution d’un axe Iran-Chine-Russie face aux Etats-Unis et leurs alliées ?

Marc Semo : Oui, mais avec des nuances. Aussi bien Moscou que Pékin, qui sont parmi les signataires de l’accord de juillet 2015 des « 5+1 » – les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne – avec Téhéran, veulent le maintenir en vie sans pour autant être vraiment à même de compenser les sanctions américaines… Mais si l’Iran à son tour sortait de l’accord, y compris seulement en reprenant l’enrichissement d’uranium à plus haut niveau, aussi bien la Russie que la Chine seraient très embarrassés.

Strokes : Pourrait-on penser que l’Arabie saoudite et le prince héritier Mohammed Ben Salman influence la Maison Blanche, la poussant vers un conflit ouvert avec l’Iran ?

Oui, c’est probable. Mais Donald Trump et surtout ses conseillers à la sécurité les plus radicaux et les plus néo-conservateurs comme John Bolton sont de longue date en faveur d’une ligne très dure avec Téhéran à même de précipiter la chute du régime voire en faveur d’une intervention militaire ponctuelle contre les infrastructures de production nucléaire iraniennes dont le site souterrain de Fordow.

Jef : L’Iran a-t-il la capacité de porter la guerre sur le territoire des Etats-Unis en cas de conflit ?

Non, mais il peut facilement avec ses alliés et obligés, tels le Hezbollah libanais ou les milices chiites irakiennes les plus radicales, frapper Israël ou mener des opérations contre des soldats américains en Irak.

FFF : Bonjour, les conditions posées par Trump sont minimales, un dialogue est-il donc possible ?

L’objectif de Trump, même si le président américain est pour le moins changeant, serait une rencontre au plus haut niveau, avec le président iranien Hassan Rohani un peu sur le modèle de celle avec le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un… Mais Hassan Rohani, à la différence de Kim, n’est pas en mesure de décider quoique ce soit, le vrai pouvoir appartenant au Guide Ali Khamenei.

En outre, pour le moment, Téhéran refuse une telle rencontre et le président américain a plusieurs fois répété que la situation n’était pas encore mûre et qu’il fallait attendre que les sanctions rétablies depuis un an et encore durcies portent leurs effets. Pour les Américains, il s’agirait de discuter tout à la fois de l’accord sur le nucléaire en le complétant et le durcissant mais aussi de la limitation des capacités balistiques de Téhéran et de bloquer son expansionnisme régional… Or, les autorités de la République islamique refusent jusqu’ici toute discussion sur ces deux derniers points.

Thomas : L’escalade des tensions avec les Etats-Unis peut-elle mettre en difficulté Hassan Rohani ? Voire porter un candidat plus conservateur à la prochaine élection (ou du moins avec une ligne plus dure en politique extérieure) ?

Il l’est déjà car il avait été élu sur ses promesses de normaliser les relations de l’Iran et sortir des sanctions grâce à un accord mettant sous contrôle international le programme nucléaire de Téhéran… Le retrait américain de l’accord de juillet 2015, le rétablissement des sanctions américaines et les pressions sur les autres pays, notamment les Européens, pour ne pas commercer avec l’Iran, ont déjà sérieusement ébranlé l’économie du pays. Cela donne du crédit à tous ceux qui disaient à Téhéran qu’aucun accord avec les Occidentaux n’était possible… Et les menaces d’intervention militaire incitent la population à faire bloc autour du régime. Tout cela ne peut que favoriser les franges les plus dures et les plus nationalistes de la République islamique, à commencer par les gardiens de la révolution.

Stagiaire : Qu’auraient pour conséquences des frappes américaines sur des installations iraniennes ? Les Iraniens seraient-ils prêts à riposter et à faire des victimes américaines, quitte à se lancer dans l’engrenage de la guerre ?

Une partie des installations seraient assurément détruites mais l’Iran pourrait néanmoins assez rapidement reconstituer le matériel détruit. C’est d’ailleurs l’un des arguments en faveur du traité de juillet 2015 qui assurait un gel plus long et contrôlable que des frappes sur les installations nucléaires. En outre, des frappes, même ponctuelles, embraseraient toute la région, le Hezbollah lançant des milliers de roquettes sur Israël qui satureraient le système anti missile de l’Etat hébreu, faisant des victimes civiles et entraînant des représailles immédiates et massives.

Philibert : Quelles pourraient être les premières cibles visées par l’armée américaines en cas d’attaque ?

Le raid décommandé au dernier moment par Donald Trump après la destruction du drone visait des sites de missiles et de radar. C’était un avertissement et un moyen pour le président américain de montrer sa détermination. D’où la mise en scène de sa volte-face de dernière minute afin d’éviter de faire quelque 150 morts. Un plan d’attaque des sites nucléaires serait beaucoup plus long et dévastateur et il ne semble pas pour le moment être à l’ordre du jour.

Michel Saget-Richoet : Les Etats-Unis n’ont-ils pas médité sur les leçons de l’invasion de l’Irak ? Puisque déjà à l’époque, c’est contre l’Iran voisin que les troupes sous commandemant américain se battaient à chaque fois qu’un groupe chiite les affrontait.

C’est effectivement le problème. Mais à la différence de 2003 et de l’Irak, les Etats-Unis ne comptent en aucun cas envahir l’Iran qui est beaucoup plus vaste et surtout beaucoup plus peuplé que l’Irak. Il s’agirait seulement d’interventions aériennes pour détruire les sites voire de quelques brèves opérations au sol de forces spéciales mais une invasion terrestre est hors de question. En cela, les leçons de 2003 ont été tirées.