Le militant antiesclavagiste Biram Ould Dah Ould Abeid, qui est arrivé deuxième à l’élection présidentielle du 22 juin avec 18,58 % des suffrages, lors de la conférence de presse de l’opposition à Nouakchott, le 23 juin 2019. / SIA KAMBOU / AFP

Les quatre opposants en lice pour la présidentielle mauritanienne rejettent les résultats provisoires accordant la victoire au premier tour au candidat du pouvoir, l’ancien général Mohamed Ould Ghazouani, mais ont reporté une manifestation prévue lundi et appelé au calme. Le scrutin, qui s’est déroulé samedi 22 juin, doit marquer la première transition entre deux présidents élus en Mauritanie, secouée par de nombreux coups d’Etat de 1978 à 2008, date du putsch qui a porté Mohamed Ould Abdelaziz au pouvoir, avant son élection en 2009. Il ne pouvait se représenter après deux mandats.

La Commission électorale nationale indépendante (CENI) a confirmé dimanche soir la victoire revendiquée au petit matin par M. Ghazouani, qui remporte 52,01 % des suffrages et arrive en tête dans toutes les provinces du pays, à l’exception de Nouadhibou (nord-ouest). Suivent le militant antiesclavagiste Biram Ould Dah Ould Abeid (18,58 %), l’ancien premier ministre Sidi Mohamed Ould Boubacar (17,87 %), le journaliste Baba Hamidou Kane (8,71 %) et le professeur d’histoire Mohamed Ould Moloud (2,44 %).

Ces résultats doivent encore être validés par le Conseil constitutionnel après examen d’éventuelles contestations, alors que les quatre candidats d’opposition ont jugé, dans une déclaration commune, « inévitable » la tenue d’un second tour, le 6 juillet, entre l’un de ses candidats et celui du pouvoir.

Le pouvoir accusé de « provocations »

Ils ont annoncé leur intention d’utiliser tous les recours légaux, exigeant de la CENI la publication des résultats « bureau par bureau » afin de pouvoir les comparer aux « informations solides » dont ils affirment disposer pour étayer leur position. Mais ils ont reporté sine die lundi une première manifestation prévue au siège de la CENI. « Nous avons décidé de reporter la marche, que nous devions organiser aujourd’hui, peut-être à jeudi », a déclaré à l’AFP Baba Hamidou Kane.

L’opposition attend la remise en liberté de dizaines de personnes arrêtées à la suite d’incidents dimanche entre manifestants et policiers dans la capitale et à Nouadhibou, a-t-il indiqué. M. Ould Abeid a exhorté ses partisans à s’abstenir de toute violence, accusant le pouvoir de « provocations », destinées selon lui à faire basculer une contestation électorale vers une confrontation entre communautés.

« J’appelle tous les Mauritaniens, en particulier ceux qui me suivent, à faire preuve de retenue et à respecter la loi et la tranquillité, ainsi que la sécurité des personnes et des biens », a-t-il déclaré. Il a ensuite reçu Mohamed Ibn Chambas, représentant du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel.

Une stabilité chèrement conquise

La société mauritanienne est marquée par des disparités persistantes entre communautés arabo-berbère, haratine (descendants d’esclaves de maîtres arabo-berbères, dont ils partagent la culture) et afro-mauritanienne, généralement de langue maternelle d’ethnies subsahariennes.

Le ministère de l’intérieur a appelé « à la retenue et au sens des responsabilités », mettant en garde contre « tout rassemblement non autorisé », passible de sanctions pénales. Les Mauritaniens ont voté samedi en nombre – 62,66 % de participation – pour désigner leur président, qui devra préserver une stabilité chèrement conquise, mais aussi assurer le développement économique et faire progresser le respect des droits humains.

Reporters sans frontières (RSF) a condamné dans un communiqué la coupure d’accès à l’Internet mobile dans le pays, constatée depuis dimanche après-midi par des témoins et des journalistes de l’AFP. Cette interruption « jette le discrédit sur le processus électoral en cours et envoie un très mauvais signal pour la liberté d’information en Mauritanie », selon RSF.

Le président sortant Mohamed Ould Abdelaziz a stabilisé la Mauritanie, frappée dans les années 2000 par des attentats djihadistes et des enlèvements d’étrangers, en menant une politique volontariste : remise sur pied de l’armée, surveillance accrue du territoire et développement des zones reculées. La croissance économique, de 3,6 % en 2018, bien qu’en amélioration, avec des projections de croissance annuelle de 6,2 % en moyenne en 2019-2021, reste insuffisante par rapport à la démographie, selon la Banque mondiale, qui appelle à libérer le secteur privé.