Un billet de 100 billions de dollars zimbabwéens, à Harare, en juin 2015. / Philimon Bulawayo / REUTERS

Le Zimbabwe a annoncé, lundi 24 juin, avoir interdit les transactions courantes en monnaies étrangères, énième tentative d’assécher le marché noir des devises et d’éviter le retour de l’hyperinflation qui a ravagé l’économie du pays. Depuis 2009, il était possible de régler ses dépenses (supermarché, essence, hôpital…) en devises étrangères, notamment en dollars américains, très prisés des commerçants.

« A compter du 24 juin, la livre britannique, le dollar américain, le rand sud-africain ou toute autre monnaie ne peut plus servir de devise avec le dollar zimbabwéen pour une quelconque transaction, a annoncé la Banque centrale. En conséquence, le dollar zimbabwéen reste la seule devise autorisée pour les transactions au Zimbabwe. »

Cette annonce rapproche un peu plus le pays du rétablissement d’une véritable devise nationale promis à plusieurs reprises par le président Emmerson Mnangagwa. Au pouvoir depuis fin 2017 et la démission de Robert Mugabe, maître absolu pendant trente-sept ans, M. Mnangagwa promet de relancer l’économie, jusque-là sans résultat. Manque de liquidités, monnaie en chute libre, forte inflation, chômage endémique… Le Zimbabwe est englué depuis deux décennies dans une interminable crise.

Pénuries, coupures d’électricité et émeutes

En 2009, le pays avait été contraint d’abandonner sa devise, totalement dévaluée par une hyperinflation vertigineuse de plusieurs centaines de millions de pour cent, au profit notamment du dollar américain et du rand sud-africain. Mais les précieux billets verts se sont faits de plus en plus rares, au point d’étrangler l’économie. En 2016, le gouvernement a alors introduit des « bonds notes », des obligations d’Etat de la même valeur que les dollars américains.

Là encore, l’opération a échoué. La valeur des « bonds notes » s’est écroulée, l’inflation a repris, creusé les déficits et provoqué le retour des pénuries de produits de base comme le pétrole, le sucre ou les médicaments, et, depuis deux mois, des coupures d’électricité généralisées. En janvier, la multiplication par plus de deux des prix des carburants a causé des émeutes dans le pays, réprimées sévèrement par la police et l’armée, avec au moins 17 morts et des centaines d’arrestations, selon la société civile.

En février, M. Mnangagwa a décidé de laisser flotter la valeur de ses « bond notes », rebaptisés pour l’occasion dollars RTGS (« real time gross settlement ») ou dollars zimbabwéens, avec l’espoir d’assécher le marché noir. Là encore en vain. La valeur des dollars zimbabwéens, qui ne sont pas reconnus sur le marché des changes, ne cesse de chuter et, selon l’agence nationale des statistiques (ZimStats), la hausse des prix a même frôlé les 100 % en rythme annuel en mai.

« On ne peut forcer personne à aimer une monnaie »

Lundi, le ministre des finances, Mthuli Ncube, a justifié sa décision d’interdire les devises étrangères par la nécessité de « ramener la situation sous contrôle ». Les fonctionnaires « ne sont pas payés en dollars, ils n’ont pas les moyens de payer leurs médicaments ou des services dans des hôpitaux et des cliniques qui exigent des dollars américains », a pris pour exemple M. Ncube devant la presse. Sa décision a été fraîchement accueillie par l’opposition. « Ça ne va faire qu’exacerber le chaos ambiant », a regretté le sénateur d’opposition David Coltard. « Le marché s’est redollarisé par manque de confiance dans le dollar RTGS, a-t-il souligné sur Twitter, on ne peut forcer personne à aimer une monnaie. »

La réaction des marchés n’a guère été plus enthousiaste. « La mesure peut s’avérer désastreuse si le système d’acquisition des devises par le marché interbancaire ne marche pas », a averti auprès de l’AFP l’économiste indépendant Gift Mugano, qui prévoit que « les taux de change vont monter et l’inflation aussi ». A en croire son confrère Jee-A van der Linde, du cabinet sud-africain African Economics, l’introduction d’une nouvelle monnaie locale ne changera rien dans un pays dont les fondamentaux économiques restent plus qu’hésitants. « Cela nécessite de la confiance, a-t-il indiqué à l’agence Bloomberg. Les gens ne croiront pas à cette nouvelle devise et cela va encore augmenter le marché noir. »