LA LISTE DE LA MATINALE

Le nouveau film du réalisateur allemand Fatih Akin « Golden Gloves » raconte l’histoire de Fritz Honka, un tueur en série des années 1970. / BOMBERO INTERNATIONAL

Des jouets et un frigo « vivants » pour se rafraîchir, un tueur en série pour se donner des frissons, et un club d’aviron pour replonger dans le grand bain, version documentaire.

« Toy Story 4 » : les aventures de Woody et Fourchette

Toy Story 4 - Nouvelle bande-annonce | Disney
Durée : 02:29

Cette histoire, mine de rien, dure depuis vingt-quatre ans et on ne parvient toujours pas, en dépit du mauvais esprit prêté aux critiques et des efforts désespérés pour s’en montrer digne, à s’en lasser. Inauguré en 1995 avec un premier film de John Lasseter, Toy Story, fleuron des studios Pixar – entre-temps rachetés par l’empire Disney, qui était toutefois déjà présent comme coproducteur dès le départ – s’est transformé en une des franchises d’animation les plus appréciées et lucratives au monde.

Ce quatrième opus s’ouvre, une nouvelle fois, sur l’inquiétude de Woody, le sympathique shérif aux vertus sacrificielles, alors que Bonnie – la fillette qui en a hérité – le laisse moisir chaque jour dans le placard. N’y tenant plus, il se glisse dans son cartable à l’occasion du premier jour d’école de la fillette, si redouté. C’est lui encore qui lui redonne sans se montrer du courage, en lui fournissant les éléments propices à la fabrication d’un personnage : une fourchette en plastique, trouvée dans une poubelle, un bout de ficelle pour les jambes, un élastique pour la bouche, deux boutons disharmonieux pour les yeux, et le tour est joué.

De l’avoir ainsi créée rend Bonnie passionnément attachée à Fourchette. Le problème, c’est que Fourchette ne se considère pas comme un jouet, mais comme un déchet. Il passe sa vie à se sauver pour sauter dans la première poubelle venue, avec Woody, qui veille au grain, sur ses talons.

Courses-poursuites d’anthologie, idylle amoureuse touchante et gags intrépides sont au programme alors que, plus que jamais, se célèbrent les noces orphelines des enfants sans jouets et des jouets sans enfants. Jacques Mandelbaum

« Toy Story 4 », film d’animation américain de Josh Cooley (1 h 40)

« Yves » : amour, gloire et glaçons

YVES Bande Annonce (Comédie, 2019)
Durée : 01:36

Fini les pense-bêtes sur le « frigo » : dans Yves, de Benoît Forgeard, le réfrigérateur parle, commande les courses et se mêle des histoires de son propriétaire. Nous voici plongés dans un futur proche où les produits électroménagers sont des personnages à part entière.

Jérem, un rappeur en mal d’inspiration, accepte de tester un frigo intelligent, le « fribot », qu’une charmante cheffe de produit prénommée So (Doria Tillier), vient lui livrer un beau matin. L’artiste y voit une solution à ses fins de mois difficiles, car les courses lui seront livrées gratuitement. Mais Yves fait du zèle, prend des initiatives en faisant tourner ses algorithmes. De bug professionnel en dispute amoureuse, le scénario puise dans les ressorts du quiproquo, du vaudeville, et livre une réflexion sur les nouvelles technologies et la tyrannie de la célébrité – où le succès d’une œuvre musicale se mesurerait en nombre de vues sur Internet.

La marque de fabrique de Forgeard tient dans son aptitude à mêler, dans ses scénarios, le réel de la société et son imaginaire débordant : profond et léger, agitateur de comédies, le réalisateur pourrait être un sociologue qui juge plus utile de monter une performance dadaiste que de rédiger sa thèse.

Avec sa bande de comédiens, Philippe Katerine, Anne Steffens et Darius, que rejoignent Doria Tillier et Alka Balbir dans Yves, Forgeard fait entendre sa musique désenchantée. Le frigo, objet-héros du film, loin d’éclipser les acteurs, les magnifie. Il faut voir William Lebghil travailler au clavier avec Yves et faire une « battle » contre lui… Clarisse Fabre

« Yves », film français de Benoît Forgeard. Avec William Lebghil, Doria Tillier, Philippe Katerine (1 h 47)

« Golden Glove » : massacres à la scie

Golden Glove - Bande-annonce officielle HD
Durée : 02:01

Dans la carrière de Fatih Akin, cinéaste allemand d’origine turque qui obtint l’Ours d’or à Berlin, en 2004, pour son film Head-On et le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise, en 2009, pour sa comédie Soul Kitchen, Golden Glove apparaîtra-t-il comme un pas de côté, un exercice de style, une plaisanterie un peu salée ?

La première séquence relève de la mise en condition. Pour le spectateur, ça passe ou ça casse. Elle détaille un meurtre sordide (une femme étranglée sur un lit par un glauque individu, un bigleux aux cheveux gras, au gros nez tordu et aux dents de travers) suivi par le dépeçage immédiat du corps, par une décapitation à la scie. L’extraordinaire est ramené à l’ordinaire de l’effort physique et de la fatigue du tueur.

Golden Glove est basé sur la reconstitution, du point de vue du criminel, d’un fait divers qui ensanglanta l’Allemagne du début des années 1970 : l’histoire de Fritz Honka, un tueur en série sévissant dans le quartier de Sankt Pauli à Hambourg, meurtrier de quatre prostituées dont il gardait les restes dans son appartement.

L’implacable et méticuleuse cruauté mise au service de la peinture de cette sordide réalité pourrait rapidement être considérée comme insupportable si l’outrance elle-même ne transformait cette chronique nihiliste en comédie macabre et grotesque. Se dessine la peinture d’une société gangrenée par la misère mais obsédée par l’ordre, une société loin de toute rédemption. Celle d’une Allemagne post-nazie rattrapée par ce qu’elle ne parvient pas vraiment à refouler. C’est sans doute dans l’usage de la musique que se dévoile le plus explicitement cet état de fait. La bande-son est en effet saturée de chansons de variété allemandes de l’époque. Jean-François Rauger

« Golden Glove », film allemand de Fatih Akin. Avec Jonas Dassler, Margarete Tiesel, Hark Bohm (1 h 50)

« Bixa Travesty » : contre le machisme au Brésil

Bixa Travesty (2018) – Film Trailer || Berlin Film Society event: 17th May
Durée : 01:54

Il y a des films-manifeste qui rencontrent leur époque, Bixa Travesty en est un. « Bixa », comme « tapette », « pédé », l’expression est un stigmate retourné en fierté, une gifle envoyée au machisme brésilien qui se trouve plus qu’à son aise depuis l’élection de Jair Bolsonaro à l’automne 2018.

Autodéterminée comme un peuple en voie d’émancipation, transgenre, noire, Brésilienne âgée de 28 ans, Linn da Quebrada est l’incarnation de ce corps politique théorisé en son temps par Michel Foucault (1926-1984) et aujourd’hui par Judith Butler : une marge qui fabrique ses propres armes, ici la danse et le verbe comme langage performatif. Avec Linn da Quebrada et sa musique électro-baile funk issue des favelas, le queer devient populaire. L’icône brésilienne est l’héroïne d’un essai cinématographique, entre documentaire et fiction, réalisé par Claudia Priscilla et Kiko Goifman.

Auréolé du Teddy Award du meilleur documentaire à la Berlinale, Bixa Travesty sillonne les festivals et fait traînée de poudre. Le film déploie une énergie festive, crue, underground, comme un acte de résistance, en même temps que Linn da Quebrada distille sa douce radicalité. Visage d’ange qui évoque le chanteur Prince et bouche conquérante à la Mick Jagger, collants résille sur cuisses de gladiateurs, Linn da Quebrada est un défi à toutes les normes. Le film qui arrive sur les écrans français ne sortira pas au Brésil – il a seulement été montré au festival MixBrasil de Sao Paulo. Cl. F.

« Bixa Travesty », film brésilien de Claudia Priscilla et Kiko Goifman. Avec Linn da Quebrada, Jup do Bairro (1 h 15)

« Beau joueur » : un club d’aviron sous l’eau

BEAU JOUEUR - Bande-annonce
Durée : 01:50

Delphine Gleize, auteure de ce documentaire sportif atypique, semble cultiver un tropisme pour les univers virils, plus encore pour les valeurs d’amitié et de transmission qui y sont attachées. On se souvient par exemple de Cavaliers seuls (2010), coréalisé avec Jean Rochefort, qui nous racontait de jolie façon la belle histoire entre un vétéran et un adolescent communiant autour de l’amour du dressage équestre.

La réalisatrice revient aujourd’hui du pays de l’Ovalie, d’où elle nous rapporte un documentaire consacré au club de rugby l’Aviron bayonnais, association plus que centenaire originellement consacrée, comme son nom l’indique, à la rame. Professionnalisé en 1999, il accède au Graal du Top 14 en 2004 et s’y maintient jusqu’en 2015. Sous la nouvelle direction de l’entraîneur Vincent Etcheto, l’Aviron bayonnais, relégué en Pro D2, reconquiert aussitôt sa place au Top 14.

Encore faut-il la conserver. C’est là que les choses se corsent. Adoptant le principe d’une intervention invisible, tout juste rehaussée de quelques commentaires sentis en voix off, la réalisatrice adopte mine de rien un point de vue radical. Délaissant totalement le spectacle sportif (rien ne nous sera montré hors quelques images lointaines des matchs disputés), elle est, en revanche, présente dans les vestiaires au moment des compétitions et lors des entraînements. Si vous avez aimé Le Grand Bain (2018), de Gilles Lellouche, vous ne pourrez qu’apprécier Beau Joueur, qui en est comme la réplique documentée. J. M.

« Beau joueur », documentaire français de Delphine Gleize (1 h 43).